Douleur L?ombre de Hicham plane toujours sur Kehaïlia, mais son père Braïk en veut surtout à l?Etat. C?est pourquoi, il refuse de nous adresser la parole nous prenant pour l?Etat. «Vous êtes venus pour les élections, vous voulez notre voix, et bien sachez que nous allons bien? Il ne nous manque rien, car nous n?avons jamais eu quelque chose et nous y sommes habitués», lance un voisin nous répondant à la place du père du «martyr» de la peste alors que ce dernier rebrousse chemin entouré des deux enfants qui lui restent. «Il faut le comprendre, il a perdu un fils? vous avez un fils vous ?». Le ton est si désarmant qu?on a eu la gorge nouée pour énumérer les trois insignifiantes lettres de «non». Et quand tout le village apprend qu?un journaliste venu d?une autre planète est à Kehaïlia, tout le monde est en ébullition. «Nous voulons un stade», s?exclame Youcef, 15 ans, qui a quitté l?école à 9 ans car son père avait besoin, à l?époque, d?un homme pour l?aider dans le pâturage. «Le stade ce n?est pas une priorité, la priorité c?est le travail pour la jeunesse, le bitume, l?eau, l?éducation», rétorque un vieux, vite hué par trois enfants. S?ensuit alors une cascade de requêtes. «Un stade !», s?égosille un autre garçon ; «l?eau !» répond sobrement un autre vieux. Et à elle seule cette image de chassé-croisé laisse présager un tacite conflit des générations exprimé sans gêne devant un «étranger» qui n?est là que pour essayer de comprendre si la localité de Kehaïlia a autre chose à offrir que la honteuse étiquette de pestiférée. Pour tenter de disperser la foule, un jeune, la trentaine à peine entamée, nous invite à prendre un café à Tlelat? à 7 km du village et tire par la suite à boulets rouges sur les responsables locaux coupables, à ses yeux, «d?avoir amassé de l?argent en profitant de la peste». Là, le sujet devient plus intéressant. Mais il est vite apostrophé par un quadragénaire qui a entendu la sentence. «Ne dites pas de bobards, ils sont bien nos responsables, l?eau arrive une fois tous les deux jours, vas-y demande-le à l?adjoint au maire, il habite tout près d?ici», avance-t-il. Mais il est vite rappelé à l?ordre par le jeune : «L?eau c?est une fois tous les quinze ou vingt jours? c?est vous qui ne devez plus dire de bobards.» La dispute se déroule juste devant un mur repeint dans l?attente des affiches des six candidats à la présidentielle. «Les affiches vont arriver incessamment et nous allons voter comme tout le monde. S?il y a quelqu?un qui promet de changer l?Algérie, nous le soutenons, mais il faut qu?il pense à Kehaïlia, c?est tout ce que nous souhaitons», avertit l?un des deux uniques commerçants du douar.