Héritage n En dépit de leur grande valeur archéologique, les vestiges de ces derniers greniers collectifs (thiqlaâth), bâtis depuis plusieurs siècles avec habileté par les habitants des Aurès risquent aujourd'hui de disparaître totalement si rien n'est fait pour leur sauvegarde. Construits sur des crêtes de montagnes et des escarpements, le long des berges d'Ighzar Amellal, également appelé Oued Labiod (le cours blanc), ces greniers ont besoin plus que jamais «d'actions sérieuses» à même de protéger ce qui reste de ce type ancien d'architecture amazighe locale. Pour le chef du service du patrimoine culturel à la direction de la culture de Batna, Ali Guerbabi, ce modèle architectural berbère authentique, dont les origines remontent à des centaines d'années, est «typique de la région des Aurès et du Sud tunisien». La classification constitue le premier pas nécessaire pour préserver ce patrimoine inestimable qui témoigne du génie des habitants de cette région, qui ont inventé ce modèle de construction, à l'abri des périls que peuvent représenter les attaques d'éventuels ennemis, selon M. Guerbabi. Sur la centaine de thiqlaâth recensée à ce jour le long de l'oued Labiod, deux seulement, à Baloul et Iguelfène (ce dernier grenier est construit sur sept étages) ont été classés en 1993 patrimoine national. Ces deux greniers n'ont, à l'instar de tous les autres, bénéficié d'aucune opération de restauration ou d'aménagement ne nécessitant pourtant pas, de l'avis des spécialistes, des sommes importantes, vu que les matériaux avec lesquels ils sont construits (pierres, pisé, troncs d'arbres et palmes) sont disponibles localement. Leur emplacement dans des zones reculées, au relief accidenté, constitue la seule entrave pouvant rendre problématique la valorisation de ces trésors de l'histoire des populations des Aurès. Les thiqlaâth ont constitué à travers le temps les éléments d'une stratégie de subsistance pour les tribus qui habitaient la région des Aurès. Ce sont des genres de greniers communautaires pour le stockage des récoltes agricoles et des vivres, comme les légumes secs, le beurre, le miel, la viande salée. Chaque thiqlaâth porte le nom de la tribu ou du arch qui l'a érigée. Afif Mohamed Ben-Ahmed (85 ans), Cheikh du arch des Ouled Abed dans la commune de Ghassira, se souvient du rôle que représentaient ces greniers communautaires pour ses aïeuls qui y voyaient la source de leur richesse, de leur puissance et de leur cohésion sociale. Ces thiqlaâth assuraient des fonctions sociales, économiques et défensives et constituaient une structure de raffermissement de l'attachement de la tribu à son territoire. C'est pourquoi, confie-t-il, en montrant du doigt la thiqlaâth d'Ouled Abed, ces greniers, construits sur des hauteurs naturellement fortifiées par un relief pierreux, accidenté qui les rend difficilement accessibles, permettent de guetter les mouvements aux alentours. Leur construction sur plusieurs niveaux (le nombre d'étages dépend, en fait, de l'importance de la population du arch) utilise surtout les pierres», ajoute cet octogénaire.