Résumé de la 1re partie n Jane Taylor qui a recouvré la vue fait don de son chien à un aveugle, Joe Gordon, dont il vient de faire connaissance... «Vous ne sortez jamais ? lui demande Jane Taylor. — Bah !... non. — Et votre famille ? — Pour ainsi dire j'en ai pas. Je suis un vieux célibataire. J'ai une sœur, mais elle vit à londres et elle a trois enfants. — Quand êtes-vous sorti pour la dernière fois ? — Il y a plus d'un an.» Pour Jane Taylor, c'est un trait de lumière, il se lève et tape sur le genou de l'aveugle : «Attendez-moi Joe, je vous amène quelqu'un et vous ne serez plus seul.» Une heure plus tard, dès qu'il entend la porte d'entrée tourner sur ses gonds, l'aveugle comprend que Jane Taylor ne revient pas seul : — «Joe, dit Jane Taylor, voici ma chienne Pacifique. Pendant des années, elle a été mes yeux. Maintenant, si je gagne ma vie c'est grâce à elle. Elle n'est plus jeune, mais elle a encore le temps de vous faire une nouvelle vie. Elle a peut-être un peu oublié ce qu'elle avait appris autrefois avec moi, mais lorsqu'elle sera dans la rue à vos côtés et si nous nous y mettons tous les trois, je suis sûr qu'elle se souviendra. Vous la sentez ? Elle est près de vous, tendez la main, caressez-la.» Joe Gordon tend la main et sent les longs poils de Pacifique glisser entre ses doigts. «Vous savez Joe, c'est une belle bête. Elle est presque toute noire, et mince. En ce moment, elle vous regarde. Son regard est très intelligent. — Mais c'est impossible, dit l'aveugle, vous ne pouvez pas vous en séparer… — Si... — Mais elle sera malheureuse avec moi ! — Ne croyez pas cela. Les bêtes c'est comme les gens : certains ne sont pas faits pour être heureux dans une oisiveté confortable, mais pour servir à quelque chose. Elle s'ennuie avec moi maintenant. Alors, Joe, allez-y. Parlez-lui doucement, vous allez vivre désormais des années ensemble.» Joe attire vers lui l'animal, le caresse doucement, longuement, essaie de deviner la forme de sa tête. «Joe, ordonne Jane Taylor, prenez son harnais dans la main, levez-vous sans hésiter, dites ‘'en avant'' et suivez-la franchement...» Joe se lève, s'y reprend à deux fois pour dire : «En avant» et suit la chienne d'un pas incertain vers la porte. Pendant des jours et des jours, l'aveugle et sa chienne apprennent à travailler ensemble sous la conduite de Jane Taylor. La chienne comprend que son nouveau maître ne voit pas et le nouveau maître comprend que l'arrivée de cette chienne va transformer sa vie. De semaine en semaine, ils font des progrès plus grands. D'abord, ils accompagnent Jane Taylor qui accroche ses portraits d'animaux pour son exposition sur les quais de la Tamise et se promènent tranquillement dans le bruissement des feuillages, suivant d'arbre en arbre les rayons du soleil. Puis ils prennent l'autobus. Enfin vient le jour de la grande épreuve où tous deux, sur un ordre du professeur, vont pour la première fois traverser un boulevard. Là aussi il faut imaginer : les Champs-Elysées à dix-huit heures... Par exemple il faut fermer les yeux et avancer, des souffles, d'énormes masses qui vous frôlent en grondant, des choses qui se faufilent, des voix qui passent à toute vitesse, la chienne qui sans cesse s'arrête et repart. L'aveugle au bout de quelques pas ne sait plus où il est, n'ose plus avancer ni reculer, et finalement, cramponné au harnais de l'animal, il s'abandonne définitivement en pensant : «A Dieu vat...» (A suivre...)