Veuves de guerre, anciennes détenues, torturées ou condamnées à mort pendant la Révolution de Novembre, montent au créneau et disent leur colère d'être ciblées par de «vulgaires stratèges» qui n'hésitent pas à salir leur parcours et à jeter le doute sur le patriotisme. Outre les attaques contre Louisa Ighil Ahriz, les signataires de la lettre adressée au président de la République, dénoncent la débaptisation des établissements qui portaient le nom de la martyre Malika Gaïd. Les femmes qui, «hier, portaient la voix de l'Algérie, soulevaient le monde par le courage de leurs convictions nationalistes, en dépit de leurs corps torturés et de leur humanité humiliée, sont, aujourd'hui, à la veille du cinquantenaire de l'indépendance, traitées au-delà de l'imaginable sans qu'aucune institution de ce pays, qu'elles voulurent indépendant, ne s'insurge», lit-on dans le document adressé au chef de l'Etat. Les signataires de cette lettre qui sont Fettouma Ouzegane, Zoulikha Bekaddour, Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Louisa Ighil Ahriz, Louisa Oudaren, Rabéa Mestoul, font notamment référence à l'affaire qui oppose le sénateur Yacef Saadi à Louisa Ighil Ahriz. «Nous pensons à Louisa Ighil Ahriz. Nous voudrions vous interpeller sur son courage et sa solitude. Aurions-nous pu imaginer, même dans nos pires cauchemars, que le soutien à ses tortionnaires viendrait de l'Algérie, par la voix d'un sénateur du tiers présidentiel, hier compagnon de combat ?», s'interrogent-elles dans cet écrit. Outre cette affaire qui a défrayé la chronique ces derniers mois, elles évoquent les établissements portant le nom de Malika Gaïd, dans la commune d'El-Harrach, à Alger qui ont été débaptisés. «Pourquoi ? La mémoire de cette sœur martyre, cette figure de la résistance, morte les armes à la main, ne mérite-t-elle plus d'être citée dans l'Algérie d'aujourd'hui ?», se demandent-elles. «Quand notre sang coulait, nous ne demandions pas à la fraternité qui nous soutenait, en Algérie, comme dans le reste du monde, sa religion ou sa nationalité. Maurice Audin, l'Algérien, comme tant d'autres, l'a payé de sa vie. Et c'est une honte pour l'Algérie que de devoir le rappeler aujourd'hui», poursuit le document. Les Moudjahidate, veuves de guerre, anciennes détenues, torturées ou condamnées à mort qui ont participé à la rédaction de cette lettre, une première du genre, se disent outrées de voir «nos héroïnes et nos héros, ceux qui fondent le socle d'une nation, soient ainsi blasphémés par de vulgaires stratèges, dont les motivations n'ont rien à voir avec l'écriture de l'histoire, mais qui tentent, par ces procédés iniques, de réduire au silence nos voix, toutes les voix qui leur demandent devant l'histoire et avec le peuple algérien : qu'avez-vous fait de l'Algérie ?» avant de poursuivre dans un style toujours interrogatoire pour interpeller le président de la République sur ce qu'a été fait de leurs espoirs et de leurs ambitions. «Qu'avez-vous fait de nos espoirs et de nos ambitions ? Ne vous suffit-il pas de nous avoir enterrées alors que nous sommes encore vivantes ? ». Elles réitèrent, par ailleurs, leur détermination à ne pas se taire. «Quant à nous, nous ne nous tairons pas, hier comme aujourd'hui, comme demain. Nous ne nous excuserons pas d'être la mauvaise conscience des usurpateurs de légitimité.» Elles exigent enfin de «l'Etat algérien, qu'il assume ses responsabilités. Qu'il veille à ce que les faussaires et les lâches cessent de profaner les tombes de nos martyrs». Et «qu'il protège les survivantes et les survivants de la Guerre de Libération nationale qui auraient tant aimé n'avoir à combattre, dans l'Algérie indépendante, que la vieillesse et la maladie, si les politiques menées depuis 1962, ne les avaient condamnés à continuer les combats de leur jeunesse : liberté, justice, fraternité, égalité».