Souffrance - Les gorges de La Chiffa sont désertées. Même les singes semblent être durement malmenés par Dame Nature. A la sortie de la ville de Blida, une averse de grêle ralentit notre avancée. Certains automobilistes préfèrent rebrousser chemin. Un embouteillage monstre se produit à cause des automobilistes qui ont fait le bon choix : la prudence. Lorsque notre véhicule s'engage sur le grand tronçon de route des gorges de la Chiffa, nous comprenons que notre mission risque de prendre fin avant de rejoindre la ville du bey de Médéa, frère de l'Emir Abdelkader. Des deux côtés de la route, des immenses tableaux blancs se dressent devant nous. Les singes, qui sont habituellement omniprésents en ce lieu, semblent pâtir également de la détérioration des conditions climatiques. N'étaient quelques étals de fruits rencontrés en bord de route, nous aurions dit que la Chiffa était devenue une ville fantôme. Le brouillard est venu ralentir beaucoup plus la circulation routière. C'est avec les feux de détresse allumés que les automobilistes traversent les gorges de la Chiffa. Au niveau du lieudit El-Hamdania, nous rencontrons les premières personnes d'une traversée dantesque. A l'intérieur d'un café maure dont le chiffre d'affaires du patron semble avoir pris des ailes, s'agglutinent plus d'une cinquantaine de clients. Notre descente en ce lieu réveille de leur torpeur ces citoyens qui se bousculent pour une «place au chaud». Prenant connaissance de notre identité, ces citoyens qui en ont gros sur le cœur, n'attendent pas nos questions pour déverser leur colère sur les autorités locales de cette commune. Chacun veut rapporter son calvaire et celui de sa famille. Ils sont tous unanimes pour dire qu'ils sont les oubliés des représentants de toute la pyramide de l'administration. «Je vous assure qu'aucun responsable à tous les niveaux n'est au courant de notre souffrance. Sans électricité, sans gaz et surtout sans vivres depuis le début des intempéries, notre quotidien a sombré dans les méandres de la misère. Les routes coupées à la circulation, ont été un obstacle nous empêchant d'investir la rue pour lancer des appels au secours», nous dit un citoyen du village de Sidi Ali, un autre lieu dit dans les montagnes, situé à 6 kilomètres d'El-Hamdania. Maintenant que cette population a touché du doigt l'inertie de ses élus en cette période d'intempéries, elle n'a plus qu'une seule idée en tête, celle de honnir les représentants du peuple de leur commune. «Des élus qui ne s'occupent que de leur confort et de celui de leur famille aux dépens de toute une population, ne méritent aucune considération. Ils feraient mieux de démissionner puisqu'ils sont impuissants devant le malheur de leurs électeurs», nous dit encore un citoyen. Nous ne pouvons pas quitter El-Hamdania sans discuter avec ce citoyen qui se tient un peu loin des siens, l'air triste, le visage ridé, les yeux cernés et le regard hagard. «Lorsque vous n'avez aucune nouvelle de votre famille qui se trouve encerclée par des blocs de glace là haut dans la montagne, vous n'avez pas le cœur à discuter. Laissez-moi seul», nous dit-il, sans plus. Il refuse même d'expliquer un peu plus en détail sa situation actuelle. Il se retire en marmonnant quelques paroles inaudibles. Peut-être, nous dit-il : «Votre curiosité me dérange.»