Défense - Il doit avoir six ou sept ans et agite ses petites mains osseuses, comme pour protéger le vieil homme. La rue Munkermoellestrade, dans le bas quartier d'Odense, dans la province de Fionie, au Danemark, est sordide. Les logements sont minuscules et, en ce début du XIXe siècle, sont habités par le sous-prolétariat. En plus des familles d'ouvriers qui s'y entassent, c'est le repaire des délinquants. Ici, la plupart des enfants ne vont pas à l'école et passent leur temps à marauder dans les rues. Les orphelins sont nombreux : livrés à eux-mêmes, ils mendient et beaucoup, pour vivre, se prostituent. les bagarres et les meurtres sont monnaie courante et les autorités, quand elles interviennent, se montrent brutales. Ce jour-là, un groupe d'enfants, en guenilles, est à l'affût. Dès que le vieil homme, armé d'une canne, s'aventure dans la rue, ils se mettent à crier et à lui jeter des pierres. — Au fou ! Au fou ! Un petit garçon, très maigre, s'interpose aussitôt entre l'homme et ses jeunes agresseurs. — Laissez mon grand-père tranquille, il ne vous a rien fait ! Il doit avoir six ou sept ans et agite ses petites mains osseuses, comme pour protéger le vieil homme. Mais les enfants, faisant preuve d'une cruauté comme seul leur âge peut en éprouver, le prennent, à son tour, comme cible. — C'est le petit-fils du fou ! Quelqu'un crie : — Il est fou, lui aussi ! Il se baisse et ramasse une pierre : — Il ne faut pas le laisser nous intimider ! — Oui, punissons-le ! Les cailloux volent. L'un d'eux atteint le jeune garçon au front et le fait saigner. Le petit a mal mais il ne pleure pas et il continue à défendre son grand-père. — N'approchez pas de lui ! C'est alors qu'un homme arrive en courant et éparpille les jeunes agresseurs ; — Allez-vous-en, vous n'avez pas honte de persécuter un pauvre malade ? Les jeunes voyous ne reculent pas. L'homme prend la canne du vieillard et la fait tournoyer : — Le premier qui approche, je lui fends le crâne ! Ils finissent par reculer. — Allez-vous-en ! Il prend le vieillard par la main et le force à le suivre. — Allons, père, je vous ai pourtant dit de ne pas sortir seul ! Et au petit garçon, qui maintenant s'est mis à pleurer : — Et toi, Hans, qu'est-ce qui t'a pris d'affronter ainsi cette horde de jeunes loups ? Tu n'avais donc pas peur de leurs coups ? L'enfant répond, en pleurnichant : — Si, j'ai toujours peur d'eux… — Alors, pourquoi les as-tu provoqués ? — Je ne pouvais pas les laisser maltraiter grand-père ! — Et tu as reçu un coup au front ! (A suivre...)