Sévices Deux cas ont le plus marqué Lamia, psychologue de formation, qui exerce en milieu scolaire. Le premier est celui d?une fille de douze ans violentée par sa propre mère. «Elle a été brûlée aux jambes (avec une cuillère) et elle présentait des ecchymoses et des griffures sur le visage», nous raconte notre interlocutrice qui s?en souvient avec émotion. Interrogée sur la raison du déchaînement de la mère, elle répond qu?il n?y en avait pas. «Cette fille était l?aînée et elle s?occupait aussi bien de ses frères et s?urs que de la maison. Et pour sa maman, elle devait être parfaite. Elle la battait pour des futilités et le père n?intervenait pas», se rappelle-t-elle. Mais en réalité, cette femme se vengeait de sa fille à cause d?une mésentente conjugale. «Elle vivait très mal sa vie de tous les jours, elle et son mari étaient en situation conflictuelle», explique cette psychologue qui a dû suivre la mère et la fille pendant une année «séparément». «A la première, j?ai expliqué les droits et les obligations. Je crois qu?elle a cessé de battre son enfant.» L?autre cas est celui de deux orphelines maltraitées par leur belle-mère «à l?insu de leur père». Au début, les deux filles refusaient d?en parler. Puis, une fois la confiance installée, elles ont tout raconté. Leur marâtre les battait sauvagement et les traces étaient visibles. «Elles ne portaient d?ailleurs jamais de jupe.» Mais la psychologue n?a rien pu faire pour elles. «Nous avons convoqué le père, mais il a refusé d?admettre que son épouse frappait ses filles, s?en tenant à ce qu?elle lui racontait en ce qui concerne les blessures qu?elles portaient sur leur corps : tantôt elles sont tombées, tantôt elles se sont cognées à quelque chose et il la croyait», regrette-t-elle. Si les cas d?enfants battus au sein de leur famille sont nombreux, il reste que le champ d?intervention de l?équipe de l?Unité de dépistage scolaire (UDS) auprès des parents est limité. La peur de se faire rabrouer ne leur facilite pas la tâche, le concept du châtiment corporel étant perçu par les géniteurs comme un droit sur leur progéniture. «Nous intervenons d?une façon subtile parce que nous n?avons pas de prérogatives» pour aborder frontalement les parents qui «nient toujours», affirme la psychologue, ajoutant que les enfants, eux-mêmes, n?avouent pas avoir été battus lorsqu?ils sont remarqués par les enseignants et le personnel administratif. «Ils commencent par prétendre avoir été griffés par un chat ou être tombés et lorsque nous leur garantissons la confidentialité, ils se mettent à parler», indique notre interlocutrice qui souligne que l?intervention de l?équipe ne dépasse jamais le cadre de l?établissement scolaire. «Les cas auxquels nous avons été confrontés ne sont jamais parvenus jusqu?à la Direction de l?action sociale (DAS) qui, elle, devrait saisir le service juridique chargé de la protection de l?enfant. Nous n?en sommes jamais arrivés jusque-là», souligne Lamia qui dit ignorer toutefois s?il existe une loi interdisant aux parents de maltraiter leurs enfants. On se limite donc, au niveau des établissements scolaires, à les convoquer (parents) et à les sensibiliser en leur expliquant leurs droits et leurs devoirs, ainsi que le rôle du service juridique qui est censé les saisir, une façon de les dissuader. Peine perdue si l?on en croit cette psychologue : «Même lorsque nous les convoquons, les sévices continuent.»