Traces Ni côté cour ni côté jardin. La commune de Sidi Salem se présente au voyageur comme elle est, c?est-à-dire dans son dénuement le plus total. Même l?intérieur du bus menant à Sidi Salem, un quartier périphérie «sensible» de la wilaya d?Annaba, n?est pas le même que celui des autres véhicules : plus sale, plus négligé par ses propriétaires. Certains sièges laissent apparaître de gros morceaux d?éponge noircie sortant des longues estafilades faites au couteau dans le similicuir. La plupart des voyageurs sont très pauvres, à en juger par leur mise. Un garçon de quatorze ans environ, les cheveux brillants de gel, porte un vieux jean troué sur un tee-shirt délavé portant la marque California... ...Après le bidonville, des immeubles-dortoirs aux fenêtres étroites. Mêmes cordes à linge, mêmes antennes sortant des balcons. Le soleil printanier met à nu tous les détails. Une vieille femme, assise sur une pierre près d?un terrain vague où des vaches paissent tranquillement sur un tas de détritus, donne le sein vide et fripé à un enfant qu?elle tient sur ses maigres genoux. Son visage brun, buriné de rides profondes, semble porter un éternel sourire comme paralysé par les ans. Elle est là, figée dans son silence, portant son regard vers ses bovins, en bonne bergère, et semble oublier le reste du monde... Partout des terrains vagues ; entre les bâtiments, des sacs noirs, des papiers, des épluchures, des choses qui font partie de la vie des gens de Sidi Salem. Au fond d?un terrain vague caillouteux où fume encore un tas d?ordures calcinées, plusieurs garages de réparation de véhicules. Les voitures, pour la plupart des taxis jaunes usagés, sont garées dehors, le capot ouvert. Des hommes s?affairent, noirs de cambouis... ...Les cafés, aux terrasses recouvertes de zinc, sans doute pour éviter les coups de soleil autant que les jets de sachets d?ordures des fenêtres, abritent quelques tables où se prélassent des clients de tous âges. Des jeunes surtout, sans doute des chômeurs, car ils sont partout. Il semble qu?ils sont encore plus nombreux à Sidi Salem, oubliée par tous, comme me dit Réda, en faisant jouer les muscles de ses épaules. Car comme tous les jeunes de son âge, c?est la frime qui compte. Cheveux coiffés en arrière figés par le gel, fin collier d?argent au cou, il est beau de cette jeunesse insouciante, désabusée, mais pleine de soif de vivre. Depuis longtemps, le rêve du Canada de ses aînés s?est estompé comme un mirage. «L?Ansej ?, dit-il, il faut avoir les ?épaules chaudes? pour trouver un emploi surtout nous, ici à Sidi Salem... Il n?y a presque rien pour nous... Quelques-uns ont reçu des barques pour pêcher, mais là encore, il fallait des connaissances...»... ...Au-dessus de Sidi Salem fument les cheminées d?Asmidal. Les gaz jaunes d?ammoniaque, qui d?habitude font des ravages dans les agglomérations environnantes, montent droit vers le ciel, car il n?y a pas de vent aujourd?hui. Sur la grande plage, on trouve, çà et là, des barques retournées sur le sable. Au bord du boulevard qui longe le bord de mer, des petits étalages de fortune offrent des poissons frais mais sont placés pour le moment au grand soleil. Au milieu de la plage, une pancarte portant l?inscription «baignade interdite» avec une flèche indiquant les eaux noires où sont rejetés les déchets toxiques du complexe industriel. Face à la plage, des bâtiments au look plus soigné que ceux du centre de Sidi Salem. Les toits sont en tuiles ; ils ont été construits apparemment par un promoteur. Quelques rideaux blancs aux fenêtres presque toutes closes en raison de la chaleur. Il y a cependant moins de détritus entre les bâtiments. Aucune trace de verdure...