Munich, 1943. Depuis quelque temps, les bombardements alliés se succèdent et rendent dans la ville toute vie normale impossible. Aussi les autorités scolaires prennent-elles la décision d'éloigner les élèves des écoles. Dans des camions militaires bâchés, les gamins de six à quinze ans prennent la direction des campagnes avoisinantes. Là au moins, ils seront en sécurité. C'est la seule réaction qu'inspire cette mesure, que tout le monde juge salutaire. Que les enfants se trouvent désormais livrés à eux-mêmes, coupés de leurs parents, ne préoccupe personne. C'est la guerre et il y a bien d'autres sujets d'inquiétude. Les enfants, eux, s'en plaignent moins que personne. Pour eux, cet éloignement subit de leur cadre de vie ressemble à des vacances... Hugo Werner, pourtant, n'est pas de cet avis. Il a treize ans, mais il paraît plus que son âge. II fait déjà 1,70 mètre et une légère moustache brune ombre sa lèvre supérieure. Sa mère, comme beaucoup d'autres femmes, travaille dans une fabrique d'armement, son père, comme tous les autres hommes ou presque, est militaire. Oui, Hugo s'ennuie dans son école improvisée au milieu de la campagne bavaroise. La rue lui manque, avec ses bandes de garçons de son âge et ses bagarres. Se battre c'est ce qu'il attend, en cette année 1943, se battre comme son père, comme les pères et les grands frères de ses camarades. Mais, pour l'instant, il faut bien une distraction, une manière de tuer le temps à défaut d'autre chose. Et il trouve une idée : fonder une association, une société secrète... Pendant les récréations, il en parle à plusieurs de ses camarades. — Qu'est-ce que vous en pensez, les gars ? On appellerait ça la «bande des panthères». Bientôt, ils sont cinq. Ils ont entre onze et treize ans. Une nuit, dans les toilettes du dortoir, ils prêtent serment en mêlant leur sang, après s'être coupé le doigt avec un couteau de scout. Voilà : la bande des panthères est constituée. Ce n'est, pour ces jeunes garçons, qu'un moyen facile d'éprouver un petit sentiment d'héroïsme alors que des adolescents qui ont seulement quelques années de plus qu'eux se font tuer à Stalingrad, en Afrique ou ailleurs... Dans leur école perdue dans la campagne, ils s'inventent des missions secrètes dangereuses et exaltantes : voler la nuit quelques pommes au réfectoire, ou bien un encrier dans le bureau du directeur... Mai 1945. La guerre est terminée. Les enfants retournent à Munich. Hugo Werner et sa bande, à bord d'un camion militaire américain, retrouvent leur ville, deux ans après l'avoir quittée. Les cinq gamins se serrent les uns contre les autres. Ils appartiennent à la bande des panthères, donc ils sont des durs, ils ne doivent pas manifester leur émotion. Et pourtant, comme ils en auraient envie ! De Munich, ils ne reconnaissent rien ou presque. Les bombardements se sont multipliés pendant leur absence. Partout, des ruines, des maisons éventrées, des rues barrées qui obligent à des détours interminables. Et puis, c'est le retour dans leur foyer... Quand Hugo Werner rentre chez lui, sa mère est là qui l'attend sur le palier. A son regard, il comprend tout de suite. II n'est pas surpris quand elle lui annonce que son père a été tué sur le front russe... Quand les cinq membres de la bande des panthères se retrouvent trois jours plus tard, il semble qu'ils aient tous vieilli de quelques années. Trois d'entre eux, dont Hugo, ont perdu leur père. Celui du quatrième est prisonnier, le cinquième est blessé. Fini l'insouciance, l'exaltation facile. Ils sont graves et décidés à faire quelque chose de grave. (A suivre...)