Autrefois, il y a bien longtemps, dans un château entouré de chênes verts et de vignes, vivait, avec sa femme, ses quatre fils, ses écuyers, ses domestiques, ses chiens et ses faucons de chasse, un seigneur riche et puissant. Tout ce qu'on apercevait par les fenêtres de son donjon lui appartenait. Un jour, des messagers sont venus demander à tous les courageux d'aller se battre très loin, de l'autre côté de la mer, pour défendre des hommes pieux qui allaient vénérer le tombeau de leur maître et auxquels on faisait des misères. Le seigneur du château aurait bien voulu y aller, mais il était très malade et tout le monde pensait qu'il allait bientôt mourir. Ali, le plus âgé de ses fils, à qui reviendraient toutes les terres après la mort de son père, n'avait pas du tout envie de s'éloigner. Les ennuis des gens, ça lui était vraiment bien égal, il est donc resté tranquillement à la maison. Ses frères Soltane, Nouh et Roslane étaient des garçons gentils et pas compliqués. Dès qu?ils ont appris qu'il fallait se battre, ils ont dit : «D'accord, on y va !» Ils ne comprenaient pas très bien qui avait tort, qui avait raison, mais comme ils n?avaient ni domaine ni château à garder, ils étaient ravis de courir l'aventure. Et ils sont partis dans le bel équipement que le seigneur, leur père, leur a donné pour l'occasion, avec sa bénédiction. Ils étaient fiers d'aller rejoindre les autres chevaliers et ils espéraient gagner là-bas beaucoup de terres et de richesses. Sans se l'avouer, ils rêvaient, peut-être, aussi de conquérir le c?ur d'une de ces princesses qu'on disait si belles avec leurs grands yeux noirs et leurs longs cheveux de soie qui leur tombaient jusqu?aux pieds. Ils ont commencé par faire un voyage interminable dans la pluie, la chaleur, souvent sans rien manger. Avec des compagnons de route qui tombaient malades, d'autres qui ne voulaient plus avancer, des brigands cachés en embuscade qui leur sautaient dessus, des bandes de chiens sauvages qui les poursuivaient en hurlant, des nuages de sauterelles qui dévoraient les feuilles des arbres et les écussons brodés sur les drapeaux, des puces qui venaient se glisser sous leur armure et qui les mordaient sans qu'ils puissent seulement se gratter... Enfin, tous les ennuis que l?on peut imaginer et encore beaucoup d'autres qui n?ont pas été relatés. Un véritable enfer ! Quand ils sont arrivés là-bas, ils ont cru que leurs malheurs étaient finis, ils ne savaient pas qu?ils ne faisaient que commencer. Dans ce pays, tout était nouveau et dangereux : le soleil était si brûlant à midi que beaucoup tombaient brusquement de leur cheval comme si une flèche les avait touchés, l'eau des torrents était si froide qu'après en avoir bu ils étaient pris de coliques épouvantables, sans oublier les fruits qui leur donnaient la fièvre, le sable où les pieds des chevaux s'enfonçaient jusqu'aux chevilles, les serpents et les scorpions du désert dont la morsure était mortelle et, bien sûr, un ennemi qui attaquait toujours quand on ne s'y attendait pas. (à suivre...)