Il y a un siècle environ... Ce matin-là, le petit Pierre se leva de bonne heure. Par la fenêtre de sa chambre, il regarda poindre l'aube. Peu à peu, l'obscurité de la nuit fit place aux premières lueurs du jour. Pierre fit un brin de toilette, se vêtit et sortit de la ferme sans bruit. La fraîcheur du matin lui picota les joues. Il s'assit sur un banc et se mit à songer à un monde merveilleux dans lequel les enfants ne deviendraient jamais ces adultes qui ne croient qu'à ce qu'ils voient. Derrière lui, une voix chaude le tira de sa rêverie. — Eh bien Pierre ! Que fais-tu dehors à cette heure-ci ? Tu devrais dormir encore ! Ta soeur elle-même n'est pas levée. C'était son père qui s'adressait à lui avec tendresse, mais aussi avec fermeté. Pierre se retourna. — Tu sais, Papa, je n'arrivais plus à dormir. J'ai regardé le jour se lever. Comme c'est beau ! — Tu es trop sensible, mon fils, et tu as la tête pleine de rêves. Ce n'est pas bon pour toi. Il faudra bien que tu changes si un jour tu veux devenir un homme. Pierre acquiesça, mais au fond, il n'avait aucune envie de s'interdire de rêver et encore moins de devenir un homme. La mère de Pierre prépara le petit déjeuner, tandis que son père s'occupait à casser du petit bois pour allumer le feu dans la cheminée. Il faisait bon se rassembler autour de l'âtre en buvant du lait crémeux. Le feu pétillait sous les branchettes bien sèches puis ronronnait en mordillant les bûches qui finissaient par s'effondrer dans un bruit d'éclatement. Sitôt qu'il eut terminé de boire son lait, Pierre mit sa cape et prit sa besace pour s'en aller à l'école. — Tu ne veux pas manger un morceau de pain avant de partir ? lui demanda son père. Pierre fit signe que non, puis alla embrasser sa sœur et sa mère, mais alors qu'il allait faire de même avec son père, celui-ci lui recommanda : — Ne traîne pas en chemin. Fais attention aux loups et aux serpents. Et tâche de ne pas rencontrer le Typhanon ! Cette dernière phrase, son père la prononça d'un ton si ironique que Pierre, vexé, claqua la porte et se mit à courir afin de mettre la plus grande distance possible entre la ferme et lui. Ainsi atteignit-il rapidement la lisière de la forêt. Le chemin s'enfonçait sous le couvert de hauts arbres aux formes plus ou moins menaçantes. Mais, Pierre n'avait pas peur. Il connaissait chaque bosse, chaque ornière du chemin par cœur. Pourtant, cette fois-ci, il avança prudemment, à petits pas, comme si quelque chose d'insolite régnait autour de lui. Il comprit vite ce que c'était : les oiseaux, d'ordinaire si familiers, ne chantaient pas aujourd'hui. En fait, un lourd silence pesait sur la forêt tout entière. Pierre s'immobilisa plus d'une fois, tendant l'oreille pour essayer de capter au moins le bruissement du vent sur les feuillages. Mais rien. Pas un souffle. Pas un bruit. Il marchait, de moins en moins tranquille. Il sentait son cœur battre fort. Sa gorge était nouée, si bien qu'il lui paraissait impossible de pouvoir émettre le moindre son. Pourtant, après un tournant, il poussa un grand cri. (A suivre...)