Supplice - Des scènes devenues d'une affligeante banalité. «Sadaka yal moumnine», supplie la voix plaintive d'une jeune maman tenant un bébé, au marché de Bachdjarah. «Je suis veuve. Mon défunt mari m'a laissé quatre enfants », hurle la mendiante en pleurant, s'évertuant à attendrir une procession de chalands qui ont le nez dans les étals et l'oreille moins attentive à ses suppliques qu'aux vociférations des vendeurs à la criée. Des scènes devenues d'une affligeante banalité. A l'intérieur du marché couvert, les prix ne sont pas très encourageants : tomate 50,00 dinars, haricots verts 100,00 dinars, courgette 80,00 dinars, poivron 100,00 dinars. Les dattes caracolent à 460,00 dinars le kilo, le frik à 250,00 dinars, la viande d'agneau à 1 350,00 dinars, le poulet à 420,00 dinars, la Zlabia certifiée 100 % boufarikoise à 180,00 dinars... Indigné par le chantage des tréteaux, un retraité lâche : «C'est scandaleux !». Nous sommes saignés par la flambée des prix et les contrôleurs du marché ne font rien. Nous sommes à la merci des spéculateurs qui, à chaque ramadan, font la loi.» Cet ancien employé de l'hôpital Mustapha souligne que sa pension de retraite, si elle a connu une légère augmentation, s'est vite heurtée à l'hystérie des prix et à la mécanique de la surenchère marchande que rien ne semble pouvoir stopper : «A quoi bon relever les salaires si c'est pour assommer les salariés avec des prix aussi insolents ! L'huile est à 650,00 dinars, vous imaginez !» « J'aurais préféré ne pas être augmenté et qu'à la place, on baisse les prix», poursuit notre interlocuteur, un couffin à la main, qui réclame sa pitance quotidienne. Un quidam renchérit : «Quand je suis acculé par la flambée des prix, je vole. Allah Ghaleb. Je subtilise une tomate, une courgette, tout ce qui me tombe sous la main ». Sur des bouts d'ardoise, les prix bombent le torse. Un habitant de Bab El-Oued nous assure que le marché des Trois-Horloges est l'un des moins chers, sinon le moins cher d'Alger. Pourtant, certains chiffres déclinés confinent clairement à l'abus, comme cette tomate à 70,00 dinars contre 50,00 dinars affichée par un marchand à l'étal bien garni, à côté. Nous lui demandons la raison d'une telle hausse. Le marchand relativise : «C'est parce que c'est une tomate de meilleure qualité. Et puis, ce n'est plus la saison.» Pour lui, les prix se sont stabilisés et vont même continuer à baisser : « Déjà, comme ça, les prix ont baissé par rapport à la première semaine du ramadan. Les prix ne flambent que les premiers jours, c'est normal ! Cela est dû à la forte sollicitation des produits. C'est la loi de l'offre et de la demande. Après, ils chutent progressivement. Maintenant, après une quinzaine de jours très pénibles, la tendance va être à la baisse.» Ce marchand de légumes est un témoin direct de la paupérisation brutale des ménages : «Je suis ici depuis 1990 et je suis témoin du déclin du pouvoir d'achat des Algériens. Les gens achètent de moins en moins de denrées. Avant, ils prenaient deux ou trois kilos de légume. Aujourd'hui, ils achètent tout par petites quantités, généralement une livre de chaque.» «Avant, je m'approvisionnais à raison d'un camion de marchandises à moi seul au marché de gros et je le vidais rapidement. Aujourd'hui, on s'y met à trois et on peine à l'écouler ».