Moquerie - Les colons, à son retour de Guyanne, l'avaient surnommé «Jean Cailloux» par dérision en référence au pénitencier où il avait passé la moitié de sa vie. Deux rescapés de l'enfer de Cayenne, la prison la plus impitoyable de l'empire colonial français sont revenus vivants à notre connaissance au pays. Le premier est Ammi Saïd, originaire de Grande Kabylie et qui, il y a encore deux ans, était encore de ce monde. C'est vrai qu'il avait 88 ans. L'homme portait des traces indélébiles de son séjour dans les geôles de Guyanne, à l'époque où il avait été interviewé. Il parlait difficilement, marchait encore plus difficilement et les gardes chiourmes l'avaient littéralement cassé. Ils avaient cassé en lui toute velléité de résistance et tout ressort humain. Le second, originaire des Hauts-Plateaux, avait été libéré en 1958 après qu'il eut purgé 20 années de travaux forcés. Il n'avait que 40 ans. Il mourra les armes à la main, deux années plus tard dans les monts de l'Ouarsenis. Les colons, à son retour de Guyanne l'avaient surnommé «Jean Cailloux» par dérision en référence au pénitencier où il avait passé la moitié de sa vie. Mais historiquement, il était le dernier prisonnier algérien a avoir été expédié au bagne avant que le général De Gaulle ne le ferme définitivement en 1958. C'est encore un brave paysan de la terre du Sersou accusé d'avoir étranglé un khodja de l'administration. L'enquête volontairement bâclée ne démontrera rien et ne prouvera jamais la culpabilité du malheureux fellah. Et comme la tribu du khodja était riche, et particulièrement puissante et qu'il fallait à tout prix trouver un bouc émissaire pour la calmer, le tribunal enverra sans état d'âme un innocent pourrir sous les barreaux. L'homme condamné à 20 ans de prison aurait dû sortir en 1958 en vertu de l'amnistie présidentielle décrétée par le général. Or, il ne reverra jamais son pays. Malgré les démarches de sa vieille mère, aucune institution n'a été capable de lui fournir la moindre information sur le sort de son fils. Etait-il toujours vivant ? Etait-il mort et les services de Cayenne n'avaient pas cru devoir l'avertir ? Une chose est sûre, elle emportera son chagrin dans sa tombe.