Expression - Le coup d'envoi de la 4e édition du Festival international de danse contemporaine a été donné, jeudi, au palais de la culture Moufdi-Zakaria. Troubles, une pièce signée Samar Bendaoud de la compagnie Sylphide, porte notre regard et ce, par l'intermédiaire du langage corporel sur ces choses cachées, refoulées, inavouées par retenue ou par tabou chez l'individu. C'est l'histoire d'une femme – elle est Algérienne – qui est sujette aux tabous et aux traditions et aussi à la modernité. Une femme tiraillée par tant de contrastes et de contradictions. C'est l'histoire d'une femme malade. Ce mal, son mal-être, l'agite, la ronge de l'intérieur. De l'extérieur, il est insoupçonné, invisible. Elle est à la limite de la folie, mais en apparence, elle est stable, sereine, lucide. Sur une scène nue, et dans une ambiance appropriée au déploiement du corps, Samar Bendaoud endosse, le temps d'une représentation, la personnalité, le caractère et la psychologie de ce personnage qui, en allant et en revenant, se cherche. Il est en quête de soi, de son individualité. Il est en quête de réponses aux nombreuses questions que lui impose son mal-être. Elle va et revient. Cela décrit visiblement un cheminement incertain, chaotique, illustrant, en conséquence, son instabilité intérieure, son trouble mental, caractériel, ses doutes et ses souffrances. Elle va et revient, perdue dans son existence ; celle-ci finit par se révéler pour elle un néant. Elle est aussitôt happée dans la spirale du doute et de la tourmente. Déroutée, déchirée, elle est prise de vertige et d'inquiétude. Cela transparaît vraisemblablement dans son jeu corporel. Le mouvement est immuable, régulier, persistant. Puis, il devient irrégulier et rapide, puissant mais apparemment fragile et, paradoxalement, sec. Le mouvement s'avère éphémère comme son existence. En effet, par moment, ce trouble est latent, inavoué, puis, soudainement, celui-ci devient apparent, vif. Il émerge à la surface du conscient. L'on assiste à une éruption de tant de choses refoulées, refusées... L'on ressent dans le mouvement de la faiblesse, de la rage, de la détresse. Le mouvement perd de sa consistance, de sa force. Il devient incontrôlé. L'individu est désormais incontrôlable. Elle est gagnée de plus en plus par son trouble caractériel. On la voit maintenant devenir folle. La folie a eu raison d'elle. Samar Bendaoud s'est illustrée dans un jeu fort et accrocheur. L'expression corporelle est en soi chargée d'émotion. Autrement dit, le mouvement, alimenté par tant de sentiments, guide chacun des pas exécutés avec tantôt avec retenue, tantôt avec force. Notons qu'à un moment du jeu, Yasmin Berouila entre en scène pour déclamer un poème de Nezar el-Kebani. Un poème qui illustre toute l'intensité émotionnelle du jeu et fait ressentir la folie dont le personnage est sujet. - Ahmed Khemis de la compagnie Jawal (voyageur) a présenté une pièce intitulée Le voyage de Bou Saâdia. L'originalité de cette chorégraphie, c'est qu'elle est inspirée du patrimoine immatériel maghrébin. Ahmed Khemis s'est inspiré, pour les besoins de son travail, de ce personnage que l'on appelle communément «Baba Salem» ou «Bou Saâdia». Ce danseur ambulant. Il sillonne les villes et villages. Il danse aux rythmes de sonorités gnawa ou qarqabou. Ahmed Khemis nous entraîne, l'instant d'une représentation, sur les traces de ce célèbre personnage typique, folklorique. Sa chorégraphie est d'ailleurs une recherche de l'autre, du créateur, qu'est Bou Saâdia. Ahmed Khemis s'approprie ce personnage légendaire, il emprunte sa danse, sa rythmique, ses sonorités. Et en s'improvisant conteur gestuel, il fait revivre une légende délirante et ce, dans un spectacle insolite et gai. Son jeu, spontané, émotionnel et plein d'énergie, se dévoile comme une tribulation, un délire du mouvement. Puisqu'en se débranchant avec son environnement, c'est-à-dire en dématérialisant son existence physique. Il entre en transe. Ahmed Khemis s'approprie chaque mouvement pour le recréer à sa façon, selon sa sensibilité et suivant son imaginaire. Aux pas de Bou Saâdia, viennent se greffer des pas africains. D'autres pas, puisés dans les danses populaires indiennes (Inde), viennent, à leur tour se combiner aux pas de Bou Saâdia. Le tout est mélangé, recomposé. Ahmed Khemis crée à nouveau le pas. Il en fait sien. Il en fait son langage, le tout est travaillé par une intuition contemporaine, une inspiration intérieure. Au départ, les pas s'en vont aux rythmes de sonorités gnawi, puis le son évolue, il se métamorphose en une musique expérimentale. Ahmed Khemis pousse la recherche jusqu'au paroxysme de l'expressivité corporelle. Il expérimente le mouvement après l'avoir créé.