Dernier voyage n «Le Joola» qui assurait la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor, via l'île de Carabane, était un cordon ombilical entre la région sud de Casamance et le reste du Sénégal. Il participait au désenclavement de la région et était essentiel pour son économie. Depuis sa mise en service, en décembre 1990, on se bousculait pour embarquer sur ce ferry de 80 m. La grande majorité de ses usagers était des commerçants, des «banas-banas» qui écoulaient leurs marchandises : fruits, poissons, huîtres, huile et vin de palme, au marché du port de la capitale Dakar et dans tout le Sénégal. Après une année d'immobilisation, «Le Joola» avait repris la liaison Dakar-Ziguinchor le 10 septembre 2002. Les habitants respiraient à nouveau et retrouvaient le sourire. Cet événement était attendu par tous car, pendant un an, toute l'île s'est retrouvée complètement isolée. Bon nombre de commerçants avaient arrêté toutes activités ; la route devenue le seul moyen pour transporter les marchandises revenait beaucoup plus cher que le bateau et surtout beaucoup trop longue pour les produits périssables. Il est 13h 30, en ce 26 septembre 2002, quand «Le Joola» quitte le port de Ziguinchor. En ce jeudi, il y a 1 046 passagers à son bord (déclarés). Après une escale à Carabane, il reprend sa route malgré l'annonce d'un orage par les services de la météo. Comme à chacun de ses voyages, au restaurant, l'ambiance est à la fête et l'orchestre fait danser les passagers. Un peu avant 23h «Le Joola» navigue à 40 km des côtes de la Gambie à environ 170 km au sud de Dakar dans une mer houleuse avec des coups de vent à 50 km/h et sous une forte pluie. Très vite, cette dernière provoque des bourrasques de vent qui accentuent l'inclinaison du ferry. Pour s'abriter du vent et de la pluie, beaucoup de passagers se précipitent en masse du côté bâbord ; ce qui accentue le déséquilibre du navire. A l'issue de cette inclinaison, nombre de passagers glissent du même côté en tombant les uns sur les autres. Et dans un bruit assourdissant, il se renverse sur le côté et l'eau s'engouffre par les hublots. En moins de cinq minutes, «Le Joola» chavire... Les passagers sur le pont se jettent à l'eau. Ceux restés à l'intérieur, surpris ou saisis dans leur sommeil, n'ont pas le temps de s'équiper de gilets de sauvetage. Seules quelques personnes arrivent à s'extraire du bateau en brisant les hublots. 25 rescapés arrivent à atteindre le seul radeau de sauvetage ouvert. 22 autres arrivent à grimper sur la coque du ferry retourné. À l'aube, des pêcheurs en pirogues déclareront aux autorités avoir vu l'«enfer». Dans son dernier voyage, «Le Joola» aura emporté plus de 1 900 vies. L. Aït Saïd