Résignée - Totalement soumise à son mari et à sa belle-mère, elle n'eut jamais de problèmes. Khadra a toujours été une femme effacée. Elle ne donnait jamais son avis, mais se contentait d'écouter les autres et de hocher la tête de haut en bas avec un petit air malicieux qui cachait, en réalité, une absence totale de personnalité. Personne ne l'avait jamais entendue dire : «Moi, je...». Elle vivait avec sa famille qu'elle laissait décider de sa vie, sans jamais s'y opposer. À dix-huit ans, on la maria à un maçon de son village de Petite Kabylie, en pleine montagne, dont elle eut deux garçons et une fille. Totalement soumise à son époux et à sa belle-mère, elle n'eut jamais de problèmes majeurs, hormis les petits soucis quotidiens. Elle était si gentille, si serviable, qu'elle devint un peu le souffre-douleur des femmes de son douar. On s'amusait à lui faire peur pour rire d'elle et de ses réactions inattendues. Une nuit, alors qu'elle dormait dans sa petite maison de pierre, que les hommes étaient dans l'unique café de la dechra à blaguer et à jouer aux dominos, les femmes, qui veillaient au clair de lune, décidèrent de lui faire la frayeur de sa vie. Bahidja, l'épouse du forgeron, mit les vêtements de son mari, ceignit un grand chèche sur sa tête et se fit une barbe et de grosses moustaches avec du marc de café. Puis elle alla réveiller Khadra qui, éperdue d'effroi, courut, vêtue de sa seule chemise de nuit, jusqu'au café, où elle s'évanouit aux pieds de son mari incrédule. Il y eut aussi le jour où, ivre-morte après avoir ingurgité une bonne rasade de vin rouge d'une bouteille que son frère cachait au fond d'une petite armoire et qu'elle avait prise pour un remède censé soigner les maux de ventre, elle avait prononcé des insanités et provoqué les femmes du voisinage. À cette époque, son mari était mort, et elle vivait avec son frère, un cul-de-jatte, pensionné de la Première Guerre mondiale. Puis, quand son frère alla vivre à Sétif, elle le suivit avec ses trois enfants. D'abord, elle s'y rendit seule, accompagnée de son beau-frère qui la quitta devant la porte de la grande maison mauresque où l'ancien militaire avait élu domicile. Khadra, qui n'avait jamais mis les pieds dans une telle maison, en resta médusée. On l'installa à la meilleure place, car tout le monde l'aimait pour sa gentillesse et sa belle-sœur prépara, en son honneur, un bon couscous à la viande de mouton. (A suivre...)