Stratagème - Arrivé à destination, le fellah descendit seul naturellement puisqu'il avait inventé cette histoire d'épouse de toutes pièces. On dit souvent que les paysans sont naïfs et que, hormis leur lopin de terre ou leur cheptel, ils ne savent pas grand-chose sinon rien de la vie moderne. Ce en quoi tout le monde s'est trompé. Et un fellah, en 1955 a donné une cinglante leçon aux citadins qui pensent être plus dégourdis que les autres parce qu'ils vivaient dans un milieu urbain supposé avancé. Il avait quarante ans à l'époque et habitait une ferme dans l'arrière-pays très loin de la route nationale. Pour ses courses comme pour ses affaires, il était obligé, deux fois par semaine, de parcourir à pied 3 km de piste poussiéreuse pour atteindre l'embranchement goudronné et guetter un car hypothétique toujours complet. Il n'était pas le seul à attendre. Il y avait toujours du monde dans ce lieudit, souvent des malades appelés par leur médecin pour un contrôle médical. Résultat : Il n'est jamais parvenu ou rarement à grimper dans le bus sauf en jouant des coudes et encore... Ce jour-là il eut une idée lumineuse. Lorsque le véhicule s'immobilisa, ce fut comme d'habitude la grosse bousculade. Et comme d'habitude, le receveur tenta de fermer la portière en s'excusant auprès des voyageurs restés en rade. — C'est fini pour aujourd'hui, cria-t-il à tue-tête, il n'y a plus de place, ni debout, ni assis, ni à l'avant, ni à l'arrière. C'est alors que notre brave fellah l'interrompit — Depuis quand une femme circule seule sans son mari dans ce pays ? — Quelle femme ? — La mienne, elle est déjà à l'intérieur. Le receveur ne pouvait strictement rien contre ce genre d'arguments qui faisaient toujours mouche. Il fit monter le «mari» avec grand-peine. Arrivé à destination, le fellah descendit seul naturellement puisqu'il avait inventé cette histoire d'épouse de toutes pièces. Le receveur qui l'avait repéré une heure auparavant, lui demanda surpris — Et votre femme ? — Je vous la laisse ..... Grâce à ce stratagème il put voyager dans les bus les plus bondés, les plus inaccessibles surtout lorsque les receveurs ne connaissaient pas la région.