Résumé de la 1re partie - Yasmina et sa mère Douja se rendent chez Zbida pour lui présenter leurs condoléances à la suite du décès de son mari. Elles se dirigent vers Tarik-Ejdida, à travers les ruelles qui montent jusqu'à Sidi Bou Annaba. Il est près de dix heures et les rues sont animées. Quand elles arrivent au tournant de la rue, Douja jette un regard dans la minuscule boutique de aâmi Mostefa, le laitier, assis, comme à son accoutumée, près d'une petite table, entouré de grands bidons de lait. — Je vais lui dire de me garder un demi-litre de lben pour le dîner, dit Douja. — Allons, viens, nous sommes déjà en retard, lui dit fermement sa fille. Dans la grande rue, elles attendent longtemps le vieil autocar de Sidi Mabrouk, qui arrive en soufflant. — C'est si loin, Sidi Mabrouk ? dit Douja... C'est très loin... Tu m'entraînes hors de la ville et moi qui te suis comme une écervelée ! Ah ! ya benti, je n'aurais jamais dû te suivre ! — Aïb alik ! Khalti Zbida était ta voisine pendant si longtemps ! Et elle n'oublie jamais de te rendre visite à chaque Aïd, tu l'oublies ? Il n'y a pas de place assise... si, une seule, va t'asseoir près de la roumia là-bas. Douja, après avoir lancé un regard inquisiteur sur la vieille au chapeau à fleurs, se décide à prendre place. — Pourquoi mettent-elles des fleurs à leurs chapeaux ? songe-t-elle ? Et puis, ils ne peuvent pas les protéger du soleil, ils sont si petits ! Pourquoi ne mettent-elles pas une bonne mdallah. Ah ! je ne comprendrai jamais ces gens-là. Pendant tout le trajet, elle ne put s'empêcher de jeter des regards curieux sur sa voisine, de ses petits yeux noirs à demi-fermés par la voilette. — Mon Dieu, ces jambes qu'elle a, la roumia ! Pleines de varices ! Je n'ai jamais vu ça ! C'est certainement parce qu'elle mange du porc ! Elle pourrait au moins les cacher sous une longue jupe !... De temps à autre, elle lance un regard vers sa fille, restée debout au milieu du car. — Je n'aurais pas dû l'écouter... quelle idée, de venir à l'enterrement de ce kilou de Brahim ! Qu'est-ce que le Bon Dieu lui réserve ! Je ne voudrais pas être à sa place ! Allah istarna ! Quand, enfin, elles descendent de l'autobus, elles sont accostées par un couple de mendiants en haillons. La femme porte un bébé attaché dans le dos par un grand morceau de tissu taché. Le bébé dort, ballottant sa petite tête à gauche et à droite, au gré des mouvements de sa mère. — Maman, donne-leur deux ou trois dourous ! Je te les rendrai plus tard. — Moi ? Mais tu es folle ? Je n'ai pas le sou !... Ah ! ya mra ! dit-elle en repoussant la mendiante. Je suis aussi pauvre que toi, seulement moi, j'ai honte de mendier ! — Je n'ai pas d'argent sur moi, mais prends ça ! Yasmina tire du petit couffin caché sous son voile la moitié d'un khobz eddar et quelques dattes, prélevées des victuailles destinées à la maison du pauvre Brahim. (A suivre...)