Louise Robin arrive dans sa petite auto avec son petit chapeau de paille, sa robe indienne et l'air de vouloir dire bonjour à tout le monde. Mais il n'y a personne dans le hameau. A dix heures du matin, en plein mois d'août, les fermiers sont aux champs, à la moisson. Seuls les chiens grondent au bout de leur chaîne, devant cette apparition insolite au parfum de patchouli. Louise Robin s'abîme dans une carte de la région pour vérifier que «sa ruine» est bien à trois kilomètres du bourg, dans ce hameau dit «La Maltave». Le vendeur lui a dit : «Allez voir vous-même ; pour le prix, c'est une petite merveille à retaper, et, pour ce qui est de l'isolement, vous serez gâtée. A part la ferme et une vieille bicoque, vous serez seule.» La ruine est bien là. Une toute petite ruine après un virage serré sur un chemin de terre, enfouie sous les arbres, dévorée par le lierre et cernée par les orties. «Le toit est bon», a dit le vendeur. Il s'avançait un peu. Mais Louise trouve charmante la toiture gondolée en vieilles tuiles plates et la cheminée de guingois. Elle découvre l'intérieur sans difficulté par la porte béante que les ronces maintiennent debout à défaut de gonds. Une pièce, une cheminée, un réduit, les restes d'un cellier. Le vendeur a précisé : «C'est très petit, le reste des bâtiments a brûlé il y a longtemps, mais le terrain est vendu avec !» Bref, Louise Robin, trente-cinq ans, peintre, éprise d'originalité, a trouvé sa retraite. Finis la ville, le bruit, les gens, les amours difficiles et les expositions ratées. Elle se retire du monde pour une longue période de méditation et de travail. Elle va vivre à la dure avec chandelles et feux de cheminée, nourriture et confort à la spartiate. Elle achète, c'est décidé. Le chat, dans son panier au fond de la petite auto, miaule des approbations sur ce projet d'année sabbatique. Empêtrée dans ses jupons indiens et les orties locales, Louise n'a pas vu que deux yeux l'observaient. D'ailleurs, elle ne se méfie pas, jamais, de rien ni de personne. Elle a toujours pensé qu'un.. sourire évitait la violence et un dialogue la guerre. C'est une femme naïve et idéaliste pour qui les assassins n'existent que dans les mauvais rêves des autres. Cette fois, Louise a découvert l'observateur. Il ne se cachait d'ailleurs, presque pas. Taille moyenne, cheveux ras, visage rond aux traits indécis, il vient d'apparaître derrière un pan de mur, noirci, vestige de l'ancien bâtiment. Un pantalon de coton bleu, des bottes mais le torse nu, il salue comme un militaire d'un drôle de geste sur le front. Louise, barbouillée de plâtre, lui sourit, bien sûr, et enchaîne avec volubilité : «Bonjour, vous habitez par là ? Je viens d'arriver il y a une semaine, et je n'ai encore vu personne ! J'ai acheté ça il y a un mois, alors vous voyez je retape ! Est-ce que vous venez de la ferme ? Il faudra que j'y aille, j'espère qu'on me vendra des œufs et du lait. Mais qu'est-ce que vous faites ?» L'homme vient de bondir par-dessus les pierres et s'enfuit comme si le diable était à ses trousses. Louise appelle, mais elle ne le voit déjà plus, il a disparu dans les broussailles. Cet étrange comportement ne l'inquiète pas outre mesure. Elle imagine que l'inconnu est un paysan, peut-être un peu simplet, et qu'il a eu peur d'elle. Elle se dit même que la prochaine fois elle ne dira rien. Elle se contentera de sourire et d'attendre qu'il parle le premier. (A suivre...)