Résumé de la 21e partie - Christiane, son amour de jeunesse, ne l'a pas attendu. Elle a épousé M. Triel... «Je le serai, Denys, dès que tu le voudras.» Nous échangeâmes alors notre premier baiser dans la barque, au fil de l'eau et en plein soleil. Il me fallait d'abord terminer mes études. Ensuite, je prendrais la succession de mon père et j'épouserais Christiane. Mais il y eut la guerre, la disparition de mes parents, ma longue captivité... La maison familiale, où Christiane et moi avions ébauché des projets de bonheur, se retrouva vide, sans visites de malades - puisque «le bon docteur» n'était plus là - avec Clémentine pour unique occupante... ... Clémentine espérait mon retour de jour en jour... Toute la petite ville d'ailleurs attendait mon retour depuis qu'il n'y avait plus de médecin. Pour en trouver un, il fallait aller à quatorze kilomètres. «Quand donc reviendra-t-il de là-bas, notre jeune docteur ?», se lamentaient les braves gens qui, au fond, ne m'avaient connu qu'enfant ou jeune homme, mais m'auréolaient déjà du prestige attaché au nom des Fortier. Bien qu'ils ne m'aient jamais vu exercer, ils étaient persuadés que je valais mon père... Tous m'avaient attendu dans notre petite ville, tous, sauf Christiane... Depuis quelques mois, en Allemagne, je ne recevais plus de lettres d'elle. Très inquiet, j'avais écrit à ma fidèle Clémentine en la suppliant de me dire la vérité. Et un jour enfin la réponse était arrivée... Elle était gauche, maladroite, cette réponse, bourrée de fautes de syntaxe et d'orthographe, mais quand même écrite par une main de vieille nounou qui avait un cœur de maman : «Christiane s'était mariée... Elle avait épousé un homme très riche, beaucoup plus âgé qu'elle... Un certain M. Triel, qui venait d'acheter le château dans lequel il avait fait de gros travaux... Il ne fallait pas trop en vouloir à Christiane... depuis le temps qu'elle attendait ! Elle avait déjà trente ans et dame ! Les années de jeunesse, ça file, surtout pendant les guerres... Il ne fallait pas non plus avoir trop de chagrin : à mon retour je trouverais qui je voudrais comme femme... Il y avait des jeunes filles charmantes - et jolies ! - dans la région qui ne demanderaient que ça : être la compagne du nouveau docteur...» La brave Clémentine terminait en me disant qu'elle surveillait la vie et le comportement de ces jeunes filles en puissance de devenir femmes... qu'elle leur parlait à toutes de moi et que peu à peu, dans leur esprit, ce médecin prisonnier prenait la figure d'un héros... Le héros lointain qui reviendrait un jour dans son pays natal pour y faire souche à son tour. J'ai déchiré la lettre de Clémentine : elle s'est éparpillée en morceaux dans la boue de l'Oflag. Et je me suis senti très seul... aussi seul qu'au volant de ma voiture pendant que je me rendais à l'accouchement d'un premier-né... Je longeai le mur du parc, bordant la route... J'accélérai pour passer devant la grille d'entrée qui restait ouverte jour et nuit comme si Christiane était toujours prête à m'accueillir... (A suivre...)