Résumé de la 1re partie n M. Polstorff pointe au chômage. Mais que proposer comme emploi à un homme de 52 ans, né dans la richesse et vivant du produit de ses fermages ? Il ne reste de tout cela que quelques photos jaunies, collées dans un album, et un orgueil démesuré qui ne peut guère s'accorder avec les rares emplois que l'on propose à cet homme. Si rares,et si mal vécus, que Borwin Polstorff est définitivement chômeur en 1956. Février 1956, donc, dans la campagne des environs de Bayreuth. À l'entrée d'un champ boueux, une petite maison délabrée abrite le couple Polstorff. Borwin se tient sur le pas de la porte. Grand, toujours hautain, dans un costume râpé, il discute âprement avec le propriétaire de la maison. «Je vous paie régulièrement le loyer, monsieur Bader, et, d'ici peu, je pourrai vous acheter cette maison... — Vous ne payez pas régulièrement, monsieur Polstorff, et je ne vendrai que si vous avez la somme en totalité, pas avant. — Vous pourriez me faire crédit ! Un homme comme moi a de l'honneur ! — Je n'en doute pas, monsieur Polstorff, mais votre situation actuelle... — Qu'a ma situation actuelle ? Je suis un homme plein de ressources et d'idées. J'ai possédé jadis plus que vous ne pourrez jamais posséder, monsieur Bader, et je ferai ici un centre touristique ! — Ici ?» Le propriétaire jette un œil étonné sur le champ boueux et la maison de deux pièces qu'il loue depuis un an à ce fou grandiloquent. «Ici ! Je ferai construire un haras. Et j'organiserai des promenades à cheval pour les gens de Bayreuth. Plus tard, nous bâtirons aussi un club pour les réunions et les soirées. Vous ne reconnaîtrez plus votre domaine, monsieur Bader. — J'ai peur que vos rêves ne vous emportent trop loin, monsieur Polstorff. En attendant, vous pointez au chômage, je crois ? — Provisoirement ! Un homme comme moi ne peut se contenter d'une vie aussi plate. Et, confidentiellement, monsieur Bader, je l'ai promis à ma femme. Ma femme a beaucoup souffert. Elle est fragile et triste. Elle est si belle, si charmante ! Ah ! si vous l'aviez vue chevaucher dans notre parc ! danser dans nos salons !» En rentrant chez lui, quelque temps plus tard, le propriétaire de la maison délabrée se dit que, décidément, il n'arrive pas à comprendre son locataire. Comment peut-on avoir si peu de sens pratique ? Cet homme est fini, il passe son temps à échafauder des rêves fantastiques et il ne se rend pas compte que la misère lui colle désormais à la peau. Il parle de sa femme comme elle devait être il y a quinze ans, avant la guerre. Il en parle, mais la voit-il vraiment ? Elle était assise sur une marche de bois du perron lorsque le propriétaire est arrivé et, immédiatement, c'est elle qui a pris la parole. «Excusez-nous, monsieur Bader, mon mari n'a pas tout l'argent du loyer cette fois. J'aurais voulu vous l'apporter moi-même, mais je suis si fatiguée. Ne craignez rien, cependant, il vous donnera le complément dans quelques jours.» Une ombre de femme, Clara Polstorff. Un corps si mince, des cheveux si clairs, des yeux si pâles. Ce soir de février 1956, alors que le propriétaire rentre chez lui en philosophant sur la misère de ses locataires, Clara Polstorff dit à son mari : «Borwin, le moment est arrivé.» Ils sont dans la cuisine, tous les deux, de chaque côté d'une table en formica. Tout est laid, les meubles d'occasion, le vieux papier peint sur les murs gondolés d'humidité, et Clara sait que rien ne changera jamais. A suivre Pierre Bellemare