Date - 26 avril 1937. Les nazis, sollicités par Franco, bombardent Guernica, paisible petite ville et néanmoins capitale du gouvernement autonome basque. C'est le jour du marché ; 1 654 civils sont tués, 889 autres blessés — femmes et enfants en grand nombre puisque la ville hébergeait des milliers de réfugiés. Guernica est effacée de la carte. Horrifié, Picasso réagit dès le 1er mai par une toile monumentale : 349,3 X 776,6 cm, destinée au Pavillon de l'Espagne à l'Exposition internationale de Paris de la même année Le peintre crée la surprise, car une autre commande lui avait été passée pour cet événement. L'œuvre est si provocante que l'artiste doit fuir aux USA ; il réalise alors des reproductions de sa toile qu'il distribue comme des tracts aux passants afin de les avertir du sort funeste de son pays et de l'Europe. Guernica, qui a suivi son maître, ne reviendra en Espagne qu'en 1981 lorsque la démocratie est restaurée dans le pays. Ainsi l'avait voulu Picasso, qui commente : «Quand je peins, j'essaie toujours de donner une image à laquelle les gens ne s'attendent pas et qui doit être assez écrasante pour être inacceptable.» La peinture revêt des couleurs endeuillées, à base de noir et de blanc parfois ponctuées d'un beige rosé atténué. Un enchevêtrement de figures disproportionnées et éclatées envahissent l'espace noir. Un taureau, un cheval agonisant, des morts démembrés, des visages hurlants, une femme portant son bébé mort, une main fantôme tenant un flambeau. Le peintre n'a jamais voulu expliquer sa toile : «La peinture n'est pas destinée à décorer les appartements. C'est une arme offensive et défensive contre l'ennemi. Ce taureau est un taureau et ce cheval est un cheval. Si vous attribuez une interprétation à certains éléments de mes peintures, il se peut que cela soit tout à fait juste, mais je ne souhaite pas livrer cette interprétation. Les idées et les conclusions auxquelles vous parvenez, moi aussi je les ai obtenues, mais instinctivement, inconsciemment. Je peins pour la peinture. Je peins les choses pour ce qu'elles sont.» Et cependant... osons relever ce défi et tentons de mettre quelques mots sur ce chef-d'œuvre à la fois aussi controversé qu'admiré. Guerres, tueries de toutes sortes, chute des civilisations : voici une peinture terrible de notre époque. (A suivre...)