Il ouvre la portière du passager et dit simplement : «Montez. Je vais l'examiner...» Peu après, ils sont devant un petit pavillon d'une rue tranquille de Francfort. Mme V. a la clé. Elle entre. Mathias est dans la pièce du rez-de-chaussée, penché sur un livre de philosophie. Il se lève en voyant le docteur et le dévisage d'un regard interrogateur, sans hostilité. Il est plutôt frêle de corps, mais son visage a quelque chose de marquant, d'attachant même. Il est empreint à la fois d'intelligence et de douceur. En quelques mots sa mère le met au courant de sa démarche et le docteur Goebler commence à l'interroger : «Mathias, je suis ici pour vous aider, mais il faut tout me dire. Mathias V. a parfaitement compris et il commence son récit d'une voix posée, douce : «Cela me prend le soir avant de me coucher... C'est une brusque impulsion, comme une envie de faire du mal, de détruire. À partir de ce moment-là, tout s'arrête. Et je me retrouve le lendemain matin tout habillé sur mon lit. Alors c'est affreux : quelquefois mes vêtements sont déchirés, quelquefois il y a dans la pièce des objets que je ne connais pas... Je fais l'inventaire de mes poches et j'y trouve des billets de banque, des portefeuilles. Quand il y a des papiers d'identité, je les renvoie par la poste, mais c'est rarement le cas. Je répartis l'argent comme je peux, mais cela ne correspond pas forcément... — Vous n'avez vraiment aucun souvenir ? — Aucun. — Dans les articles, on parle d'attaques à main armée. Avez-vous une arme ?» Cette fois le jeune homme s'agite, il se prend la tête dans les mains. «Oui. Je sais qu'il s'agit d'attaques à main armée, avec un revolver. Mais je ne sais pas où il est. J'ai fouillé dans toute la maison et je n'ai rien trouvé. Je dois le cacher quelque part dehors. Dès que la crise commence, le souvenir de la cachette doit me revenir et je vais directement le chercher. Mais le matin, lorsque je me réveille, je ne me souviens plus de rien, je vous le jure... — Je vous crois, c'est tout à fait vraisemblable dans votre cas. Calmez-vous.» Mais Mathias V. ne se calme pas, bien au contraire. Il a un regard halluciné : «Avant-hier, docteur, j'ai trouvé dans ma poche un morceau de corsage de femme. Heureusement, il n'y avait rien dans les journaux : pas question de viol ou de tentative de viol. Mais si un jour cela arrivait ? Si un matin je me réveillais en apprenant que je suis un violeur ou un assassin ? — Cela n'arrivera pas. À partir de maintenant, je prends les choses en main. Au besoin, je demanderai l'internement.» Au mot «internement» Mathias V. a bondi. «Jamais ! Je ne veux pas qu'on apprenne que je suis fou ! Je ne veux pas que mon père le sache... Non, il n'y a qu'une seule solution, je dois me tuer avant qu'il ne soit trop tard.» Mme V., qui jusque-là était restée silencieuse, intervient. «Oui, docteur, je vous en prie, pas d'internement ! Mon mari serait incapable de comprendre. Pour lui ce serait une catastrophe, il croirait que sa carrière, sa vie sont brisées... Le médecin ne répond pas, il sort de sa trousse un appareil perfectionné. C'est un modèle encore expérimental, une sorte de scanner portatif, permettant de faire des observations d'urgence. Il peut ainsi établir rapidement son diagnostic. (A suivre...)