Richard B. taille ses arbustes. Il fait très beau, ce 24 septembre 1992, un bel après-midi d'automne : il doit en profiter. À grands coups de serpe vigoureux et précis, il coupe ses troènes et ses fusains. Bientôt son petit jardin sera coquet comme tout... Evidemment, ce n'est pas vraiment son jardin. C'est celui de sa mère, puisque avec Maria, sa femme, et leurs trois enfants ils habitent chez elle depuis près de quinze ans. Dans le jardin Richard B. entend au loin des sons qui lui parviennent : c'est la voix de sa mère, aiguë, criarde, comme à l'ordinaire : «C'est insupportable, c'est odieux ! J'en ai assez de vous tous !» Richard B. pousse un gros soupir... Il va encore devoir arranger les choses, recoller les morceaux. Cela fait des années q'il s'interpose entre sa mère et sa femme, qu'il déploie des trésors de diplomatie. Mais maintenant, il n'en peut plus. Il sent qu'il va craquer. D'un geste rageur, il abat sa longue serpe sur une branche de troène, une branche saine qui poussait dans la bonne direction... Richard B. contemple l'arbuste qu'il vient de mutiler. Lui si calme, si maître de lui : c'est la première fois ! À travers la porte de la cuisine, qui donne sur le jardin, la voix de sa mère enfle encore : «Je suis chez moi, ici, vous m'entendez, chez moi !» Il n'y a pas à dire, il y a des jours qui sentent le drame... Tout en continuant à tailler ses fusains, Richard B. rumine ses souvenirs. Quand il a épousé Maria, en 1978, ils ont choisi de vivre chez ses parents à lui, qui habitaient cette jolie maison dans la banlieue de Dortmund. Lui, Richard, bien sûr, c'était ce qu'il souhaitait. C'est la maison où il était né, sa maison, et elle était assez grande pour les loger tous. Quant à Maria, elle n'a pas dit non. Son père, lui aussi, était ravi de cette cohabitation. Mais c'est de sa mère que sont venues les difficultés. D'abord, elle n'a jamais pu accepter sa belle-fille. Richard lui a demandé mille fois ce qu'elle avait à lui reprocher. Elle n'a jamais pu lui donner une réponse cohérente. En fait, elle lui reprochait sans doute d'être sa belle-fille, tout simplement. L'atmosphère à la maison n'a jamais été bonne. Mais elle a été supportable six ans, jusqu'à la mort de son père. C'est à ce moment-là que tout a changé. Comme Maria ne travaillait pas, les deux femmes se sont trouvées ensemble toute la journée, et chaque soir, quand il rentrait, Richard trouvait une ambiance électrique, empoisonnée. Sa mère se précipitait vers lui : «Tu ne sais pas ce qu'elle m'a encore dit ? Tu ne sais pas ce qu'elle m'a encore fait ?» Et c'étaient, pendant des soirées entières, d'interminables discussions où il essayait, avec toute la diplomatie, tout le bon sens dont il était capable, d'arranger les choses. Mais les choses ne faisaient qu'empirer... Maria et lui ont eu deux garçons et une fille. À leur naissance, leur grand-mère ne leur a accordé aucune attention. C'était l'indifférence totale. Elle a laissé sa belle-fille les élever seule. Richard a été un peu déçu des réactions de sa mère, mais il était loin de se douter que la situation n'irait qu'en s'aggravant. À mesure que les enfants ont grandi, sa mère les a pris en grippe, pour ne pas dire en haine. Elle détestait leurs jouets. Quand elle en voyait un qui traînait dans le salon ou dans la salle à manger, elle l'emportait sans dire un mot et allait le mettre à la poubelle. Quand, plus tard, ils ont invité des camarades pour jouer avec eux dans le jardin, elle avait de véritables crises de nerfs : «Allez dehors ! Tous dehors, je ne veux plus vous voir...» (A suivre...)