Mémoire - Lam Lé, un cinéaste vietnamien, est l'invité du Festival international du cinéma d'Alger, une manifestation entièrement dédiée aux films engagés. Son film en compétition est un documentaire. Công Binh, la longue nuit indochinoise revient sur un pan de l'histoire vietnamienne, jusque-là méconnu de la plupart des gens. C'est l'histoire de 20 000 forçats vietnamiens. Forçats, parce qu'ils ont été recrutés de force dans l'Indochine française pour venir suppléer dans les usines d'armement les ouvriers français partis sur le front allemand. Ils ont été arrachés de force à leur terre, à leur famille pour être inhumainement exploités. Maltraités en France, les Cong Binh, c'est ainsi qu'on les appelait, transportés de camp en camp, vont être les pionniers de la culture du riz en Camargue. Et tout cela pour un salaire dérisoire. «Ce film est un retour sur une histoire occultée», a déclaré Lam Lé. Ainsi, le mérite du film consiste à montrer ce qu'on ignore. Ce dernier se présente comme un réquisitoire contre la colonisation française, ses méfaits et son impact sur les populations colonisées. Son contenu a fait couler beaucoup d'encre, donc il a suscité, selon le réalisateur, de vifs débats partout où il a été présenté. C'est aussi un film tabou, «une source de gêne constante entre deux pays, la France et le Vietnam». Tout au long de ce documentaire, Lam Lé donne la parole aux déportés, parole qui, longtemps, leur a été confisquée. Ainsi, le film, fruit d'un minutieux travail de recherche, réunit les témoignages d'une vingtaine de survivants dont onze sont récemment décédés. Et pour étayer le contenu de son documentaire, Lam Lé a eu recours à des images d'archives. L'ironie des Công Binh est que, outre qu'ils sont malmenés par les colons français, puis livrés aux Allemands après la défaite de 1940, ensuite carrément marginalisés, ces forçats sont considérés par le Vietnam comme des traîtres, et ce, à cause de la méconnaissance de l'histoire. Nombre d'entre eux, ceux qui sont rentrés au pays au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont été assassinés. Công Binh, la longue nuit indochinoise est un hommage à ces laissés-pour-compte. Lam Lé a confié que son film est interdit au Vietnam. Interrogé sur les raisons de cette interdiction, le réalisateur a préféré mettre cela sur le compte de la méconnaissance de l'histoire. «Le Vietnam est en très mauvaise position par rapport au cas des travailleurs Công Binh, car ils sont considérés comme des traîtres», a déclaré Lam Lê, et de renchérir à propos de son documentaire : «Il ne s'agit pas d'un documentaire pour moi, il s'agit de mon film, de la vie aussi et l'histoire d'un pays qui a été pendant un siècle écrasé, pillé, exploité en toute impunité.» - Même si Công Binh, la longue nuit indochinoise raconte un passé, il reste cependant d'actualité. «Le film consiste à montrer [et donc à dénoncer] la colonisation dans toutes ses formes», a déclaré Lam Lê, celui qui estime que plus de cinquante années après le processus de décolonisation, il s'avère que la colonisation continue d'exister «mais autrement, à un autre niveau. L'on assiste de nos jours à un prolongement de la colonisation et cette continuité se fait par l'entremise d'organismes internationaux, à savoir l'Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international... La colonisation continue d'exister en toute impunité». Ainsi, la mondialisation se révèle une colonisation, mais d'un autre type. «La différence réside dans la terminologie, mais le sens, donc le contenu, demeure le même», a-t-il soutenu. Ainsi, Lam Lé dénonce l'existence de la pensée unique, donc dominante, celle imposée par l'Occident, à savoir les anciennes puissances coloniales. A la question de savoir si, à travers son film, il fait un travail de mémoire, Lam Lé a répondu : «Je ne fais pas un travail de mémoire et je refuse de le faire, car en faire un, cela révèle une redondance.» Pour lui, faire un travail de mémoire, c'est comme pour tourner la page et oublier le passé. «Dans mes films d'ailleurs, je pose toujours la question de la colonisation, et ce sujet je l'aborde du point de vue d'ancien colonisé», a-t-il relevé. En effet, dans Công Binh, la longue nuit indochinoise, Lam Lé donne la parole seulement aux victimes de la colonisation, qui sont les siens.