Le documentaire, tout récent, qui a provoqué une véritable polémique outre-mer, Cong binh, la longue nuit indochinoise du réalisateur Vietnamien Lam Lê, a été projeté samedi soir à la salle El Mouggar. Inscrit en compétition officielle dans la section documentaire du 4e Festival international du cinéma d'Alger (films engagés), ce documentaire de 116 mn retrace le drame des 20 000 Indochinois recrutés de force par l'armée coloniale française à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers arrachés de force à leurs familles se sont retrouvés embarqués dans un bateau, destination la France pour remplacer les ouvriers français partis au front en Allemagne. Ces Indochinois, on les appelle les Cong binh. Ils se voient confié les rudes tâches, et, n'ayant guère le choix, travailleront dans les usines d'armements, la poudrière, et seront même les pionniers de la culture du riz dans la Camargue. Vivant dans des conditions exécrables, les Cong binh seront d'abord exploités, livrés aux Allemands suite à la défaite de la France puis complètement abandonnés par le Vietnam indépendant. Pis, les Cong binh sont considérés comme des traitres au Vietnam. Leur tort, ils ont servi la France. «Cela est due à une grave méconnaissance de l'histoire», a affirmé le réalisateur après la projection. Réunissant les témoignages d'une vingtaine de Cong binh, le documentaire dévoile une partie de l'histoire qu'on a voulu occulter en France comme au Vietnam. Le réalisateur a d'ailleurs montré le soutien indéfectible dont ont fait preuve les Cong binh envers Ho Chi Minh, mais cela n'a guère servi leur cause. Réunissant des images d'archives et des reconstitutions de scènes, le documentaire est le fruit d'un véritable travail d'historien mais cependant le réalisateur s'est beaucoup focalisé sur l'esthétique de son œuvre pour offrir au public «un beau film de cinéma», comme il l'a précisé. Voulant donner un aspect ludique au documentaire, l'histoire des Cong binh est aussi racontée par un spectacle de marionnettes sur l'eau à Hanoi. Des extraits de ce spectacle d'art populaire ont illustré certains moments forts du documentaire. Des extraits des Damnées de la terre de Frantz Fanon sont également insérés dans le film. A la fin de la projection, le réalisateur, les yeux noyés de larmes, a annoncé que son œuvre est interdite au Vietnam. «Le documentaire devait être projeté dans le cadre de la célébration de l'année croisée France-Vietnam, mais, hélas, la gouvernante vietnamienne n'a pas voulu donner son accord», a-t-il indiqué en mettant cette censure sur le compte de l'ignorance de véritables faits historiques. Pire, le film a été sélectionné pour le Festival international du documentaire de Vanzy, mais les organisateurs demanderont par la suite à Lam lê de supprimer deux minutes du documentaire. Il s'agit des deux minutes où le conflit entre trotskistes et staliniens est évoqué. Homme digne et fier, Lam Lê a évidemment refusé de se plier à cette condition. «Il ne s'agit pas d'un simple documentaire pour moi, il s'agit de mon film, l'histoire et la vie d'une nation qu'on a opprimé et massacré en toute impunité», lâche le réalisateur la gorge noué. Le public fortement ému autant par l'œuvre que par l'engagement du réalisateur, a longuement applaudi. W. S. M.