Résumé de la 46e partie - Quand Williams pénètre dans la cabine, Chantal somnole. Elle a de la fièvre et ressent une forte douleur au bras droit... Si elle avait eu l'idée de consulter à ce moment l'ouvrage du Dr Ramelot, elle se serait aperçue que son nerf cubital était atteint. Elle aurait appris que sa lèpre était nerveuse, la pire de toutes, celle où les nerfs étant malades, les muscles et les os ne sont plus nourris. Dans la suite apparaîtraient rapidement les déformations dont la plus frappante serait la main en griffe. Chantal verrait les phalanges de ses doigts se détruire et se résorber. Quand ses doigts merveilleux, faits pour porter les plus belles bagues du monde et effleurer les lèvres de ses admirateurs, n'existeraient plus, ses avant-bras décharnés ressembleraient à des battes de bois. Les mêmes destructions s'acharneraient contre ses pieds adorables que tant d'amants avaient embrassés. L'anesthésie locale, la décomposition de sa peau si douce, les infections contre lesquelles ses tissus seraient incapables de réagir, aboutiraient au mal perforant, la plus grande misère des lépreux. Heureusement pour elle, Chantal était persuadée que le mal serait enrayé avant d'avoir fait de tels ravages. Williams avait déposé sur la table de nuit une boîte de fruits confits accompagnée d'une carte sur laquelle elle put lire : « Robert Nicot supplie sa seule amie du bord de consentir à le recevoir.» — Vous direz à ce monsieur, répondit Chantal au steward, que je ne le recevrai jamais, ni lui ni personne, mais que je suis très sensible à sa délicate attention. J'ai horreur des fruits confits, Williams ! Vous les mangerez à ma place. Prenez cette boîte. — Vraiment, Madame, je ne sais si je puis accepter — Vous pouvez... et laissez-moi seule. Le steward se retira. Chantal jeta un coup d'œil sur l'adresse de l'ingénieur avec le secret espoir d'y retrouver le nom d'une rue de Paris qu'elle connaissait et fut assez surprise de constater que cette carte de visite, imprimée à l'avance, portait déjà l'adresse de Robert à Singapour. Elle décida quand même de conserver la carte en souvenir des soirées passées et lui trouva une cachette entre deux pages de la Psychologie des Lépreux. La chaleur était intolérable. L'Empress of Australia venait de laisser la mer Rouge dans son sillage pour fendre les eaux chaudes de l'océan Indien, après avoir mis directement le cap sur la presqu'île de Malacca. Dans trois jours ce serait l'escale à Singapour et les adieux de Robert. Chantal ne reverrait pas l'ingénieur mais voulait conserver de lui l'image qui l'avait émue le soir où elle avait compris que leurs cours resteraient liés à jamais en dépit du temps, de l'éloignement, de la lèpre... (A suivre...)