Mendicité ■ Avant le jour naissant, à l'aube, un non-voyant est déjà assis sur une marche de la passerelle de Tafourah, en plein centre d'Alger. La soixantaine, sa main gauche tient une canne, l'autre est tendue aux passants. Si les non-voyants se trouvent réduits à la mendicité, c'est parce qu'ils sont tout simplement dans le besoin. Chez nous, cette catégorie sociale dont le nombre dépasse les 200 000, ne bénéficie pas d'une pension, à l'instar de ses semblables à travers le monde. Et pourtant, ce ne sont pas les moyens financiers qui manquent. L'aide sociale que l'Etat accorde mensuellement au non-voyant ne dépasse pas la mo-dique somme de trois mille dinars. Qu'on les considère comme handicapés ou personnes souffrant d'une maladie chronique, il faut admettre que les non-voyants ont des frais supplémentaires, par rapport aux voyants. Pour qu'ils se déplacent, il leur faut un accompagnateur ou un chien guide. Avant d'arriver à ce stade de misère, les non-voyants avaient leurs unités de brosserie. Pour justifier la fermeture des usines des non-voyants, les hauts responsables du pays ont usé d'arguments surprenants pour expliquer une décision des plus aberrantes : «Les travailleurs non-voyants étaient là à recevoir leur salaire alors qu'ils ne travaillaient plus. C'est pour préserver la dignité des travailleurs que nous avons fermé les usines.» «Le problème de l'Onabros est définitivement réglé et clos. Et personne n'a été lésé», a soutenu l'ancien ministre de la Solidarité Djamel Ould Abbès. Tout d'abord, dans ce cadre, il est à se demander, s'il ne se trouve pas une contradiction criante dans le dossier de liquidation des usines des non-voyants. Dans un pays où on ne cesse de clamer haut et fort qu'on fait du social, dans un pays où on ne cesse d'inciter à l'achat du produit local, on procède avec froideur à la fermeture d'unités de brosserie afin de céder le passage à l'importation du produit fini. Il est légitime que les non-voyants se demandent, aujourd'hui, comment l'Etat qui trouve un partenaire étranger pour sauver des entreprises, telle que la SNVI, dit ne pas pouvoir supporter les charges de l'Onabros. Ensuite, il est à se demander aussi de quelle manière peut-on préserver la dignité d'une personne en la privant du droit au travail, en la gardant dans une situation d'assistanat et en la poussant à la mendicité. Mis à part le manque d'argent, dont souffrent les non-voyants, au quotidien, sur le terrain, nous avons pu relever encore un autre fait gravissime : faute de manuels scolaires, les enfants non-voyants se trouvent privés du droit à un enseignement effectif. Sur le marché local, des objets nécessaires à la cuisine pour les personnes non-voyantes sont aussi inexistants : ni balance parlante, ni indicateur de niveau sonore. Encore faut-il se demander s'il existe vraiment chez nous les aménagements destinés à faciliter les cheminements des personnes non-voyantes et à leur assurer une meilleure sécurité dans une ville censée être accessible à tout le monde. Sur ce, un non-voyant s'est demandé s'il peut s'en sortir avec un chien guide sur des trottoirs occupés par des cageots et véhicules. Car, justifie-t-il «un chien guide est dressé pour arpenter les trottoirs et non les chaussées.» une intrigue : pas de non-voyante. Une fois, nous raconte-t-on, une non-voyante s'est fait délester de ses bijoux, de son argent par l'individu qui «l'aidait» à traverser la rue. Combien sont-elles ?