«Vous êtes bien hardi de vouloir vous marier sans ma permission, dit Fourbin à son frère : pour vous punir, je veux épouser cette fille, si elle est aussi belle qu'on le dit.» Fourbin, en entrant chez la bergère, lui demanda où était la fille. «La voici, répondit la bergère, en montrant Aurore. — Quoi ! ce monstre-là, dit le roi, et n'avez-vous point une autre fille, à laquelle mon frère a donné sa bague ? — La voici à mon doigt», répondit Aurore. A ces mots, le roi fit un grand éclat de rire, et dit : «Je ne croyais pas mon frère de si mauvais goût ; mais je suis charmé de pouvoir le punir.» En même temps, il commanda à la bergère de mettre un voile sur la tête d'Aurore ; et ayant envoyé chercher le prince Ingénu, il lui dit : «Mon frère, puisque vous aimez la belle Aurore, je veux que vous l'épousiez tout à l'heure. — Et moi, je ne veux tromper personne, dit Aurore, en arrachant son voile ; regardez mon visage, Ingénu, je suis devenue bien horrible depuis trois jours ; voulez-vous encore m'épouser ? — Vous paraissez plus aimable que jamais à mes yeux, dit le prince ; car je reconnais que vous êtes plus vertueuse encore que je ne croyais.» En même temps il lui donna la main, et Fourbin riait de tout son cœur. Il commanda donc qu'ils fussent mariés sur-le-champ ; mais ensuite il dit à Ingénu : «Comme je n'aime pas les monstres, vous pouvez demeurer avec votre femme dans cette cabane, je vous défends de l'amener à la cour.» En même temps, il remonta dans son carrosse, et laissa Ingénu transporté de joie. «Eh bien, dit la bergère à Aurore, croyez-vous encore être malheureuse d'avoir tombé ? Sans cet accident, le roi serait devenu amoureux de vous, et si vous n'aviez pas voulu l'épouser, il eût fait mourir Ingénu. — Vous avez raison, ma mère, reprit Aurore mais pourtant je suis devenue laide à faire peur, et je crains que le prince n'ait du regret de m'avoir épousée. — Non, je vous assure, reprit Ingénu : on s'accoutume au visage d'une laide, mais on ne peut s'accoutumer à un mauvais caractère. (A suivre...)