Par une belle journée d?automne, un jeune bûcheron était assis à califourchon sur une branche d?olivier qu?il sciait avec beaucoup d?application. «Oh, le piètre bûcheron !», s?écria un administrateur qui d?aventure passait par là. Le jeune homme qui s?appelait Omar, se retourna et vit un beau spécimen de fonctionnaire comme on en faisait naguère : raide comme un i, amidonné, rasé de près, long comme un jour sans pain, lunettes sur le nez? C?était sans doute un nouveau débarqué qui ne connaissait pas bien le miracle algérien. «Si vous continuez ainsi à tailler, reprit l?employé de mairie, vous allez bientôt tomber ! Pour sûr que vous ne connaissez pas le mot qui dit qu?il ne faut jamais scier le rameau sur lequel on est assis !». Omar lui répondit : «Monsieur, je vous ai compris !». ? «Si vous m?aviez compris, vous auriez cessé de scier ! Je vais donc vous expliquer?» ? Ce n?est pas la peine, à nous, il suffit d?un clin d??il pour que l?on comprenne ? «Cessez donc de scier !» cria affolé l?employé, puis se reprenant, il continua : «Donnez plutôt le dos au tronc de l?arbre et si vous continuez de sectionner, le reste de la branche tombera, mais sans vous avec». ? «Mon père est allé trois fois à La Mecque, reprit le paysan sans s?arrêter de couper, mon grand-père est un grand marabout et?» ? «Mais cessez donc de scier ! hurla l?employé, à bout de nerfs, je respecte vos croyances, mais apprenez, mon beau monsieur, que les lois de la physique régissent notre vie». ? «Quelle loi ? Je sais que vous allez me faire un procès alors, je vous jure ! s?exclama Omar, je vais couper la branche et dare- dare !». ? «Calmez-vous je vous en conjure !» «Ecoutez-moi, monsieur l?obstiné ! dit le préposé, Archimède disait que tout corps plongé dans l?eau?» ? «En sort mouillé, même dans mon douar, on le sait !» interrompit Omar en se remettant au travail. ? «Vous me troublez, ma foi, j?en suis même arrivé à me tromper de loi : je voulais vous parler de la pesanteur», expliqua l?employé, tout en se rapprochant : puis en montrant du doigt la branche, il continua : «Si ce courçon que vous êtes en train de couper comme un forcené, par malheur venait à céder, vous tomberiez. Or, si vous chutez de cette hauteur, c?est sûr que vous êtes un homme mort !» ? «Quoi ! aussi rapide que cela, répliqua le paysan intrépide, je monte donc au ciel fissâ comme dans une automobile !». Hors de lui, l?administrateur vint, pour son malheur, camper sous l?arbre en criant : «Vous radotez, mon jeune ami, et cessez donc de scier, vous allez vous abîmer !» Puis, l?employé perdant un peu de son amidon, cligna de l??il et continua : «Je vais, encore une fois, tenter de vous expliquer la loi de la pesanteur : au centre de la terre se trouve une force formidable qui attire à elle tous les corps». ? «J?ai compris ! interrompit le jeune homme. En somme, cette loi m?empêchera de monter au ciel en automobile ! Ne vous faites pas de bile, Incha Allah, j?ai presque?» Il ne devait pas terminer sa phrase car la branche, soudain, se cassa et s?effondra avec le bûcheron assis dessus à califourchon, pour se poser, comme une couronne, sur le crâne de l?homme de législation, étouffant à jamais son érudition. Omar se releva en s?époussetant : «Je vous disais bien de ne pas vous faire de bile !» Puis, apercevant, le corps du fonctionnaire immobile, il s?exclama : «Ah ! Je crois, qu?à ma place, monsieur a pris l?automobile !». Et le paysan, tout en murmurant, s?en alla, opinant de la tête : «Il n?est de Dieu qu?Allah et Mohamed est son Prophète» Voilà un bel exemple du miracle algérien !