Tableau noir Les années 1990, appelées communément «décennie noire», ont révélé à la connaissance de tous la fragilité, la vulnérabilité et l?insuffisance d?un pays qui, jusqu?alors, se croyait suffisant, à l?abri de tout conflit et de toute tension. L?Algérie entière sombre, dès l?avènement des années 1990, dans une terrible crise politique, laquelle a provoqué des failles, engendré des fractures tant sur le plan social qu?économique. La culture en a souffert et a subi les retombées d?une crise multidimensionnelle tragique et sans précédent. Les arts sont-ils, dès lors, liés aux remous et aux mutations sociales, économiques et politiques ? La culture, comme toutes les autres constituantes d?une société, dépend, en effet, de l?exercice politique, car c?est l?élément politique qui détermine, a priori, l?exercice culturel. Durant ces années de trouble et de crise, nous avons assisté à l?émergence de jeunes artistes, tous mus par ce besoin pressant, un besoin intérieur de décrire, de narrer le vécu. L?ancienne génération nourrissait, elle aussi, ce besoin et cette impérative envie d?exorciser l?effroi et l?horreur vécus au quotidien. Tels des expressionnistes, ils s?attachaient, coûte que coûte, à décrire le monde extérieur, à le représenter sans fard ni complaisance, dans son abomination et sa laideur, en poussant les couleurs qu?ils utilisaient et les thèmes qu?ils développaient à leur paroxysme, parfois jusqu?à choquer l?observateur, à heurter sa sensibilité. La trajectoire était donc tracée. Ils donnaient une interprétation violente et tragique de la réalité, mettant surtout l?accent sur la charge émotionnelle intense et fortement expressive, que véhiculaient leurs productions picturales. Diverses représentations de cet art venaient alors témoigner de l?horreur et de l?infamie qu?a connues l?Algérie durant cette cruelle décennie. Des peintres comme Boudjemaâ Zoheïr venaient projeter en couleurs vives et morbides sur la surface de leur tableau cette réalité macabre et choquante. Dans ce cas, peut-on parler, comme en littérature, de «peinture de l?urgence» ? Certainement oui ! Puisque ces peintres, aussi bien ceux de la nouvelle que de l?ancienne génération, peignaient seulement, ils s?employaient uniquement à traduire un regard, des sentiments, sans toutefois se préoccuper d?une recherche dans le style, voire un souci de concevoir de nouveaux modes d?esthétique et modèles de production. Leur seul souci était de peindre pour témoigner, et non peindre pour se livrer à une création plastique. La «décennie noire» a cependant constitué une rupture dans la pratique picturale, révélé les insuffisances d?une esthétique, montré la crise dans l?art. Et avant d?aborder et d?expliquer en quoi consiste la crise de l?esthétique, il est préférable ? pour ne pas dire nécessaire ? d?inscrire dans notre démarche l?exercice pictural dans le temps, c?est-à-dire retracer l?histoire de la peinture algérienne.