Réalité L?expression picturale s?enlise dans le marasme. Elle est prisonnière d?«un imaginaire littéralement domestiqué par le conformisme». L?artiste, témoin de son temps et de sa société, est enclin à peindre son vécu. L?artiste algérien, comme tout artiste de par le monde, raconte dans son tableau son existence psychologique et sa réalité sociale. Nombreux sont ceux qui ont «parlé» dans leur peinture de la décennie noire. Devant ces nombreuses ?uvres qui traduisent la détresse, la désolation, l?horreur, l?infamie, le sang, la violence, la barbarie, la mort, l?observateur, brusqué et violemment saisi, ne peut refouler son indignation, sa compassion, mais aussi son dégoût et son rejet ; une réalité qu?il refuse parce qu?elle est crue, amère, répulsive, laide. L?observateur cherche à oublier ? certainement pas à nier ? cette tragédie, aussi se tourne-t-il avec nostalgie vers le passé. Ce «bon vieux temps» où il faisait bon vivre, à la recherche du calme, du bonheur, de la douceur, de la sérénité, de la volupté et de la beauté. Il est aussi à la recherche de couleurs, belles et éclatantes ; de formes sensuelles et fascinantes. L?observateur exprime alors le désir de rêver et d?oublier son drame quotidien. Les artistes cherchent, eux aussi, à fuir et à oublier leur réalité de citoyens d?abord, d?artistes ensuite. C?est pour cette raison d?ailleurs qu?ils n?éprouvent ? du moins certains d?entre eux ? ni l?envie ni le besoin de l?exprimer dans leur peinture. Prenant donc conscience du désir, ils se sont aussitôt mis à l??uvre, puisant dans l?imaginaire collectif traditionnel, s?inspirant des mythes et du terroir, reproduisant des scènes telles l?Amirauté ou la Baie d?Alger, la Casbah, la fantasia, les cavalcades dans le désert, les vestiges romains, les paysages? dans le seul dessein de faire revivre une époque qui, depuis fort longtemps, n?existe plus, n?est plus d?actualité. Ils se détournent ainsi de leur réelle mission : rendre compte, d?un point de vue esthétique, du réel, du rapport qu?ils entretiennent au monde, de la façon dont ils l?approchent, se l?approprient pour le révéler autrement selon leur imaginaire et leur sensibilité. Leur seul souci est de plaire avant tout aux «clients» pour bien vendre. D?autres artistes, en revanche, esquissent, çà et là, une tentative de renouveler le langage pictural, une entreprise qui s?est avérée cependant infructueuse car le renouveau de l?art se fait avec un geste laissant deviner l?incompétence et la méconnaissance. «On observe souvent aujourd?hui, en Algérie, que les attitudes les plus audacieuses, celles qui se réclament de l?avant-garde ou de l?art contemporain, ne sont pas théorisées et ne constituent, en réalité, que des expérimentations inspirées de l?art occidental ou mues par le mimétisme», dira Nadira Lagoun, critique d?art et enseignante à l?Ecole supérieure des Beaux-Arts d?Alger. Il y a certes des productions picturales à travers lesquelles on peut déceler cette volonté qui anime l?artiste de vouloir arracher l?art du passéisme, de l?immobilisme, du plagiat, mais il se trouve qu?elles sont de moins en moins intellectuelles. Cela s?explique par «l?absence de la philosophie du champ esthétique, car la pensée philosophique alimente le besoin de ces artistes en concepts (dynamiques)», ajoutera-t-elle.