Lorsque les conquistadors ont débarqué en Amérique, à la fin du XVe siècle, ils ont apporté aux populations indigènes quelques fléaux bien connus des historiens de cette épopée : la variole, le typhus, la rougeole, les oreillons, la diphtérie, la lèpre, la grippe et la tuberculose. Mais voici qu'une étude récemment publiée dans une revue française invite à ajouter un nom à ce cortège morbide : l'ulcère gastrique, un mal chronique que l'on sait, depuis peu, être dû à la bactérie Helicobacter pilori. Cherchant à comprendre les secrets du «succès» de cette bactérie qui gîte aujourd'hui dans l'estomac de la moitié de la population mondiale, une équipe de chercheurs, dirigée par Thomas Borén (Umea University, Suède) et Douglas Berg (Washington Medical School, Saint-Louis), a comparé quelque 373 souches d'H. pilori prélevées dans des contrées diverses, sur des Japonais et des Espagnols en passant par des Allemands et des Péruviens d'origine amérindienne. Alors que l?Helicobacter pilori affiche, dans le monde entier, une affinité pour tous les groupes sanguins à la fois, les chercheurs ont découvert que la plupart des souches, issues d'Amérindiens, ont une affinité exclusive pour le groupe sanguin O, qui est précisément celui qui prédomine chez les Amérindiens. Comment expliquer un tel particularisme ? Pour les chercheurs, c'est là le signe que la souche amérindienne actuelle est la descendante d'une souche ordinaire, polyvalente, apportée d'Europe il y a 500 ans. Confrontée à une population très majoritairement de groupe sanguin O, la bactérie aurait perdu, par mutation, les gènes qui lui permettaient de nicher chez des individus possédant d'autres groupes sanguins. L'hypothèse d'une telle évolution est étayée par une découverte publiée il y a quatre ans par le même Douglas Berg, révélant que la souche espagnole est celle qui ressemble le plus à la souche amérindienne, du moins lorsque l'on compare le profil de trois de leurs gènes les plus vitaux. L'article avait fait polémique. Mais la théorie de l'ulcère «colonial» s'étoffe, ajoutant une ombre au tableau horrifique des maux apportés en Amérique, il y a un demi-millénaire, par les hommes de l'Ancien monde. A l'arrivée des premiers colons espagnols, on estime qu'il y avait au Pérou une trentaine de millions d'âmes. Deux siècles plus tard, on en dénombrait 1,8 million. Au Mexique, l'hécatombe est identique : de 30 millions, on tombe à 1,6 million un siècle et demi plus tard. Et les auteurs de rappeler que «le succès remporté par quelques centaines d'Espagnols sur des millions d'Amérindiens» s'explique aussi et surtout par la propagation de leurs maladies. De grandes batailles gagnées par le chef indigène Moctezuma se soldèrent par une défaite, ses troupes étant ravagées par des maux inconnus. Si les populations américaines étaient si mortellement vulnérables aux maux qui frappaient avec moins de dureté l'Ancien Continent, c'est sans doute du fait de leur coupure avec le reste du monde pendant 11 000 ans.