En Occident, on ne sait plus ce que ces mots signifient : «fistule obstétricale», car cette infirmité a disparu. Mais en Asie et en Afrique, elle touche de nombreuses femmes. Des jeunes filles mariées dès 12-13 ans se retrouvent enceintes à la puberté. Leur corps n'est pas prêt. Si l'accouchement est difficile, dure plusieurs jours, sans soins appropriés, le bébé meurt, la mère parfois aussi. Si elle en réchappe, elle n'est pas indemne. Lorsque, durant plusieurs jours, la tête de l'enfant comprime les tissus qui séparent la filière génitale de la vessie et parfois du rectum, les tissus se nécrosent et une brèche se forme à leur place : la fistule. La jeune femme devient incontinente. Les urines, parfois les matières fécales, s'écoulent par la cavité vaginale. L'infirmité s'aggrave avec le temps. Au bout de quelques semaines, le mari perd patience et renvoie sa jeune épouse chez ses parents qui, parfois, n'ont plus la capacité d'accueillir leur fille. «La vie devient impossible pour ces femmes, elles sont souillées en permanence, elles sentent mauvais et se retrouvent ostracisées. On les met dans une cabane au fond du jardin ou on les chasse... Elles vont se laver la nuit. C'est une infirmité épouvantable», note le Pr Jacques Milliez, gynécologue-obstétricien, membre de l'organisation non gouvernementale Equilibres et populations, qui a enquêté dans les pays africains. Certaines jeunes filles peuvent vivre plusieurs années avant d'entendre parler d'un médecin capable de guérir les «femmes qui fuient». Pourquoi ce problème qui conduit des êtres humains à vivre de façon inhumaine est-il si peu connu ? Jusqu'ici, la mortalité des femmes enceintes était la priorité des organismes internationaux : 600 000 femmes meurent en accouchant chaque année dans le monde. Ils ont compris que les deux questions étaient liées et, depuis un an, ils se sont attaqués au problème. En Afrique, 2 millions de femmes vivent avec une fistule obstétricale et environ 100 000 cas viennent s'ajouter chaque année. «Ce sont des estimations en dessous de la réalité, ces femmes sont des parias, on ne les connaît pas toutes. Il y a un travail de recherche statistique à faire, mais nous avons décidé de les aider d'abord. On pourrait aussi parler du millier de femmes qui meurent d'un avortement médicalisé. Les Nations unies n'ont pas le droit d'aider les services d'avortement. Nous aidons à la prévention», note France Donnay, gynécologue-obstétricienne pratiquant de nombreuses interventions dans les pays africains. «Nous avons décidé de nous occuper de ces femmes parce que personne ne le faisait. Nous choisissons un hôpital ou un centre médical, nous nous installons dans une salle d'opération, nous passons une annonce à la radio. Nous faisons des interventions pendant une semaine et quand nous revenons, six mois plus tard, les femmes sont plus nombreuses.» Car la fistule s'opère. Le taux de réussite est même important. Il atteint 90% à Addis-Abeba (Ethiopie), dans un hôpital créé exprès et qui a mis au point une technique servant de modèle aux autres pays. On peut former facilement des chirurgiens à cette opération, mais les campagnes manquent dramatiquement de personnel médical.