Appréhensions On attend depuis plusieurs jours une caravane partie à Ghadamès? On craint qu'elle ne se soit perdue dans le désert ou qu'elle n?ait été attaquée par des brigands. Autrefois, la ville d'El-Oued, comme la plupart des villes du désert, avait des portes qui fermaient la nuit. Elle avait de hauts remparts flanqués de tours, avec des hommes qui montaient la garde. Dès que l'on apercevait quelqu'un, on le sommait de décliner son identité : s'il s'agissait d'un habitant de la ville, on le laissait entrer, s'il s'agissait d'un ennemi, on le repoussait. S'il refusait de partir, on n'hésitait pas à lui décocher des flèches. C'est qu'en ce temps-là, les bandits étaient nombreux dans le désert et il y avait également beaucoup de rivalités entre les cités, souvent érigées en royaumes. Comme chaque nuit, les sentinelles sont à leur poste et scrutent l'horizon avec soin : c'est que la ville attend, depuis plusieurs jours, une caravane qui tarde à rentrer. Des hommes, jeunes et moins jeunes, sont partis à Ghadamès, en Libye. Ils ont emporté avec eux des produits de leur pays, notamment des dattes, du lagmi, une boisson fermentée à base de sève de palmier, des vêtements de laine, des moutons, des chameaux et du sel. Ils doivent revenir, chargés de cuir, d'ivoire, d'or, de selles, de plumes d'autruche, d'encens et d'alun. Des produits rares et surtout coûteux dans le Souf. «Mais pourquoi ne reviennent-ils pas ?» Le vieillard, drapé dans son burnous de laine blanche, interroge les gardes. Il semble très inquiet et pour cause : ses deux fils et ses deux petits-fils font partie du convoi. «Ne t'inquiète pas, grand-père, dit une sentinelle, Ils seront bientôt de retour. ? Voilà deux semaines que l'on me fait cette réponse ! ? La route du désert est longue, dit la sentinelle. ? Elle est longue et périlleuse ! Et si la caravane avait été attaquée par des bandits ? Et si quelque génie malfaisant avait surgi dans la nuit et les avait entraînés dans son repaire ? ? On n'en sait rien, grand-père ! ? Alors pourquoi tentez-vous de me rassurer, en me disant que la caravane sera bientôt de retour ? Il secoue la tête et se met à gémir. «Malheur à moi ! J'ai perdu mes fils et mes petits-fiIs, la prunelle de mes yeux ! A si j'étais plus jeune, je serais allé à leur recherche ! ? Où veux-tu qu'on les cherche ? Le désert est si vaste !» Le vieillard descend péniblement des remparts. Les sentinelles ont raison : le désert est vaste, où trouver la caravane ? La nuit passe sans que rien ne vienne troubler sa tranquillité, puis le jour se lève. Du haut des remparts, les sentinelles, de faction la nuit, s'apprêtent à redescendre. D'autres gardes viendront prendre leur place. Les hommes jettent un dernier coup d'?il... Le désert s'étend à l'infini, déjà écrasé par le soleil qui monte. Il n'y a ni personne ni bête à l'horizon... Seulement du sable, toujours du sable, encore du sable ! «Alors, demandent les gardes qui prennent la relève, pas de caravane en vue ? ? Non, il va falloir considérer la caravane que nous attendons comme perdue.» (A suivre...)