"Regard" Le port, les pubs, les marchés et la Plaza de toros rapportent tellement gros que l?entrée en quai d?un navire est perçue, chaque matin, comme un événement de taille. Un jour ensoleillé du VIIIe siècle, Ali, le muezzin, monte sur une crête pour appeler à la prière. Sa voix nonchalante et la forte résonance des décibels agressent paisiblement la quiétude légendaire des habitants clairsemés tout au bord de la ville. «Ali chante bien, merveilleusement bien», s'exclamaient-ils, non sans laisser enfouir le désir ardent de la Reconquista. Ce jour-là, Alicante n'était pas encore Alicante l'arrogante au charme discret. Entre les cinq appels quotidiens du muezzin et les indécorticables rythmes jaillissant des boîtes de nuit de la Costa Blanca, la parfaite complicité de l?histoire et du présent s?est greffée par les indélébiles empreintes du Castillo Santa Barbara et des luxueux hôtels longeant les six kilomètres de la plage San Juan, une sorte de Copacabana en miniature. Mais entre les deux, grandes artères et ruelles foisonnent. Tout autour, des immeubles avec une même architecture moderne. Sur un relief accidenté et sinueux, les buildings futuristes dominent par leur corps imposant le vieil Alicante pourtant fier d?avoir su préserver les vestiges d?un passé fait d?apogée et de décadence. Mais l?histoire, celle des Carthagénois, de la domination musulmane, des comptoirs grecs et des rois de Castille, est bien loin dans le rétroviseur. La deuxième ville de la région après la toute-puissante Valence croque la vie à pleines dents. Le port, les pubs, les marchés et la Plaza de toros rapportent gros. Tellement gros que l?entrée en quai d?un navire est perçue, chaque matin, comme un événement de taille. «El Djazaïr» et ses trente ans de navigation sur les généreuses vagues de la Méditerranée est venu s?engouffrer dans ce lot de bâtiments auquel Alicante ouvre chaque jour les bras. Mercredi dernier, le vieux bateau de l?Enmtv entrait dans la ville au moment où le «Tipaza» s?apprêtait à faire son énième Alicante-Oran bondé de voitures-cargos et de trabendistes, sacs-à-dos en bandoulière, traînant difficilement leurs gros cabas, mais ravis tout de même d?avoir déniché quelques joyaux à revendre à prix forts dès le retour au pays. «El Djazaïr» présente presque le même décor sauf que ce navire préfère plutôt la destination Marseille. La Canebière s?est habituée à lui depuis presque trente ans, soit l?âge d?un navire adulte, telle une vieille épave arrivée à ses limites et appelée à céder sa place à d?autres beaucoup plus jeunes. Matelots et personnels du bord vous le diront : «El Djazaïr» n?en peut plus, il doit se reposer. Finies les formalités du débarquement, plus souples que celles de l?exigu port d?Alger, le groupe de journalistes algériens dépêchés sur les lieux quitte le navire et n?a désormais que 24 heures pour découvrir la suffocante ville côtière. Le temps presse. Alors, on prend le soin de ramener un bus flambant neuf, mais aussi Catherine, un guide touristique de la région la quarantaine entamée, pour nous relater l?histoire de la région en une poignée de minutes seulement, le temps du trajet qui mène directement à Terra Mitica, un gigantesque parc d?attractions surplombant la ville de Benidorm située à quelque 50 km environ de Alicante. La cause est entendue. Terra Mitica est une destination que personne ne devrait oublier une fois sur place. Les promoteurs de la traversée l?avaient inscrite sur leur carnet de bord. Qu?à cela ne tienne, le mal de mer de la veille cède la place à une sécrétion plus abondante d?adrénaline. La recette est simple : payer 32 euros et laisser la «chenille», une machine de jeu de quelque 10 000 écrous, faire des siennes. Anis et Riad sont au bord de l?asphyxie. La chenille avec sa vitesse vertigineuse de presque 100 km/h les a totalement vidés, eux qui fument bien plus qu?il n?en faut. «C?est fou, c?est phénoménal», lançaient les deux journalistes à l?unisson. L?après-midi, Benidorm, paisible station balnéaire de la région, paraît calme. La chaleur torride empêche les gens de sortir. La sieste paraît le meilleur moyen de se ressourcer avant de reprendre le travail à?16h. Dans le bus, Catherine prend le soin de perfectionner son français par un interminable cours d?histoires à dormir debout. Comme à l?école, on prend des notes avec quelques ratures quand notre guide commence à parler sa langue maternelle pour faire l?impasse sur un mot ou deux introuvables dans son français primaire. Les heures s?égrènent sans que l?on s?en rende compte à Terra Mitica. A 18h, la délégation quitte le parc thématique et rejoint le navire pour le dîner. Encore une fois, le temps presse. Il faut faire vite pour ne pas rater les feux d?artifice sur l?esplanade de la Plaza Espagna, où s?agglutinent des centaines de touristes. Minuit, la fête ne fait que commencer au grand bonheur des bars affichant complet. Les serveurs sont débordés, affolés même. La bière coule à flots. La demande bat tous les records et ce, durant tout l?été. Le lendemain, c?est un autre jour avec le même décor, les mêmes passions et la même monotonie. Alicante vit courageusement ses antagonismes et c?est ce qui fait son charme. Le navire «El Djazaïr» en chiffres Date de construction : 1971 par Kawazaki Heavy Industries (Japon) Mise en exploitation : 29 juin 1973 Capacités commerciales : 1 098 passagers (260 en cabines, 268 en économique couchettes, 570 en économique fauteuils et 260 voitures). Longueur : 130,38 m Largeur : 22 m Vitesse : 17 n?uds Autonomie en miles : 4 700