Passion ■ Dans nos montagnes, l'amour était un sujet tabou mais le contrarier peut donner lieu à des drames d'une violence inouïe. C'est le cas de l'histoire qui va suivre et dont les faits commencent en mars 1962, à quelques mois de l'indépendance, dans une bourgade montagneuse, à l'Est de notre pays. Bachir, trente-deux ans, était dans son épicerie en train de déplacer un fût d'huile Lesieur lorsqu'il vit entrer le vieux Nafâa. — Bonjour, Bachir... Toujours en train de mettre de l'ordre dans ta boutique, hein ? — Bonjour, Cheikh Nafâa... J'étais en train d'essayer de gagner un peu d'espace en déplaçant quelques fûts et quelques cartons... — Ah ! Ce qu'il te faudrait mon jeune ami, c'est une plus grande boutique. Celle-ci est trop exiguë pour toi... — C'est vrai... — Dis-moi, Bachir, tu as des lames Gilette ? — Oui... Je dois en avoir... Je te donne un paquet ? — Oui... S'il te plaît et un paquet de café et un paquet de sucre... — D'accord... Cheikh Nafâa. Le sexagénaire fourra ses achats dans son panier en vannerie, paya et dit au jeune épicier : — Si tu as un peu de temps à me consacrer, Bachir, j'aimerai avoir une petite discussion avec toi... Bachir était étonné... C'était la première fois que le vieux voisin adoptait un ton aussi grave, lui qui avait toujours été, plutôt jovial, ne prenant pas du tout la vie au sérieux. — Oui, bien sûr, Cheikh Nafâa. Je vais fermer la porte pour que nous ne soyons pas dérangés. — Merci, Bachir. Une fois la porte refermée, le vieil homme commença à parler : — Voilà, c'est au sujet de ta sœur Dahbia... — Ah ! — Pourquoi, dis-tu «Ah» ? — J'ai dit «Ah»parce que je suis au courant de cette histoire... — Très bien, cela va donc me faciliter la tâche. Je veux Dahbia pour mon fils aîné, Mustapha... Mais il y a un problème : ton père refuse de me la donner sous prétexte qu'elle est promise à un de tes cousins... — Cheikh Nafâa ! Je te connais depuis que je suis enfant... Tu es un brave homme et nul doute que le plus cher désir de mon père est de t'accorder la main de Dahbia pour ton fils. Ton fils je le connais très bien aussi. C'est un «homme et demi» ! Nul doute qu'il serait un bon mari pour Dahbia et un bon père de famille. Mais effectivement, il y a un problème, Cheikh Nafâa. : Dahbia est promise à Bélaid... A suivre