Portrait ■ Lorsqu'on observe les toiles de Djahida Houadef, c'est le monde des femmes en fleurs qui domine. «Si on les trouve toujours dans mes tableaux, c'est quelque part de moi que je parle, comme si je faisais mon autoportrait. C'est dans un monde de femmes que j'ai évolué», explique l'artiste-peintre, née à N'gaous dans les Aurès, où, comme dans toute l'Algérie profonde, l'espace intérieur et intime est géré par la femme, se distinguant de celui des hommes, hors les murs de la maison. «C'est dans mes origines, dans la période riche de mon enfance, cette recherche permanente de la mémoire qui fait que les femmes sont toujours présentes dans mon vécu», raconte-t-elle. Et dans le travail créateur de Djahida. Une relation intrinsèque qui lui a inspiré ses trois collections sur l'univers féminin «Casbadjiates», en hommage aux femmes de La Casbah d'Alger, «Cassassettes», les conteuses chaouies qu'on peut imaginer raconter leurs contes, au cœur de nuits claires et les «N'gaoussiates», un cri d'amour à celles qui l'ont entourée et lui ont donné leur tendresse. Elles sont graciles, habillées de tissus fleuris, elles vacillent comme des flammes et ont le visage lisse et les contours de la tête presque inachevés, si ce ne sont ces grands yeux noirs : «Au début, je les peignais en les noyant dans le paysage, des fœtus, des êtres purs, un brin irréelles», dit-elle. A la question de savoir pourquoi ce foisonnement de plantes, d'arbres, une nature féconde, bouquets de couleurs, dans toute votre création, l'artiste répond : «J'ai grandi dans la ferme de mon grand-père où les abricotiers et autres arbres fruitiers s'épanouissaient à foison. Les êtres faisaient corps avec cette nature généreuse, ils étaient en symbiose avec la terre nourricière. Il m'est impossible de ne pas utiliser toutes les teintes naturelles, ces tons spécifiques à l'Algérie qui est un pays de lumières. D'ailleurs, l'environnement dans toute sa diversité définit la présence de Dieu Divine et lorsque l'individu se rapproche de cette biodiversité, il éprouve un apaisement. C'est mon cas.» Djahida Houadef, qui a étudié à l'Ecole des beaux-arts d'Alger a décidé d'arrêter d'ensei-gner il y a quatre ans pour se consacrer «entièrement à la peinture». Mais cette vocation qui la dévore se traduit quelque part comme une épine au pied pour elle comme pour beaucoup de plasticiens, c'est de ne pouvoir travailler dans un vrai atelier de peinture. Pour la plupart d'entre eux ils peignent dans leur foyer, dans un espace commun au reste de la famille et ne savent plus où stocker leurs œuvres. L'autre obstacle majeur, confie-t-elle, c'est «L'absence d'un marché de l'art. L'artiste est lésé, en ce sens de ne pouvoir s'épanouir en assistant à une reconnaissance de son travail. Il est temps qu'on distribue des espaces de création aux artistes. Notre espoir avec les abattoirs vient de s'écrouler, mais il existe d'autres sites inutilisés qui doivent être cédés aux artistes afin de redonner vie aux vieux murs de certains bâtiments. C'est important un patrimoine artistique, il est indissociable des valeurs d'un pays. D'où la question : alors pourquoi il n'y a pas de volonté politique pour faire de l'art une composante identitaire dans une Algérie qui se construit ? «Il faut que la tutelle s'investisse dans la protection du patrimoine artistique et consacre un budget pour l'achat des œuvres des artistes, première pierre d'achoppement du marché de l'art algérien», répond-elle. Où en est l'Association pour les arts de la cité (Cit'arts) ? «On œuvre pour rester sur la scène artistique Entre-temps, on réfléchit à ce qu'on peut apporter dans l'évolution du mouvement artistique», souligne-t-elle. S'exprimant sur ses projets, Djahida Houadef dit : «Oui, une prochaine exposition au cours du mois d'octobre au niveau du Musée des beaux-arts d'Alger avec Safia Zoulid, le thème est «Africanisation». En conclusion, l'artiste déclare : «Peindre est une manière de partager avec l'autre, cela me protège du mal...»