Colère n Dans le quartier populaire de Petare, ancien bastion chaviste de l'est de Caracas, Paula Navas s'apprête à défiler contre le président socialiste Nicolas Maduro au nom de sa fille Anhely, morte la semaine dernière à l'hôpital, faute de médicaments pour la soigner. La fêlure est si récente que cette femme de 50 ans fond en larmes à l'énoncé de ce prénom. Anhely, 22 ans, était la cinquième de ses neuf filles qu'elle élève seule. "Elle ne ratait aucune marche" de protestation, se souvient Paula Navas, certaine que sa fille aurait été à ses côtés mercredi pour "la mère de toutes les manifestations" convoquée par l'opposition. Le jour de la veillée mortuaire de sa fille Anhely, l'odeur des gaz lacrymogènes a envahi l'entreprise de pompes funèbres: une manifestation de l'opposition était dispersée non loin de là par les forces de l'ordre. Anhely est décédée un dimanche, après une semaine à l'hôpital où elle avait été admise à cause de vomissements et de diarrhées. On lui a injecté de la pénicilline, seul médicament disponible, mais elle y était allergique. "J'avais dit à la doctoresse qu'elle était diabétique, elle n'a pas regardé son dossier, ni rien demandé. Le chef des médecins lui a dit en arrivant +Tu l'as tuée+. Et moi aussi, par la même occasion", se souvient-elle. Une bouteille d'eau à la main, elle prend le bus vers un des points de départ de la manifestation d'opposants. "Le Venezuela doit changer, ce n'est plus une vie. Ces gens (du gouvernement) doivent partir. Et les quartiers (populaires) sont en train de rejoindre l'opposition. Le chavisme est en train de disparaître", estime Paula Navas, qui travaille pour la mairie de district, détenue par l'opposition, et fait des ménages. Ici, dans cette zone pauvre des hauteurs de Caracas appelée "5 juillet", où elle vit depuis 15 ans, cette femme assure être l'amie de tous, chavistes ou non. En marchant, elle pointe du doigt autour d'elle, le regard malicieux: "Ceux-là sont avec l'opposition", "eux aussi". Et après avoir croisé une femme arborant une casquette aux couleurs du chavisme, elle lance: "Celle-là aussi est avec nous". Elle s'arrête devant une maison d'où sort Leinny Garcia, 32 ans, avec un drapeau jaune, bleu et rouge du Venezuela. En bas de l'avenue les attendent cinq autres personnes. "On est un groupe important. (Mais) on descend par petits groupes car on a été menacés. D'autres vont (à la manifestation) des chavistes (car ils sont) obligés", explique-t-elle.. S'y trouve une jeune fille avec le drapeau vénézuélien peint sur les joues, signe de ralliement de l'opposition, et un homme à la casquette tricolore. Un fois arrivée, elle salue d'autres habitants de son quartier. "Je reste là jusqu'à la fin, avec ou sans gaz lacrymogènes. Je vais marcher pour mes filles, pour mon Anhely", lance-t-elle avant de se fondre dans la foule. Maduro dénonce «Un coup d'Etat» n «Les Etats-Unis" et notamment "le département d'Etat ont donné leur feu vert et leur approbation à un processus putschiste effronté en vue d'une intervention au Venezuela", a ainsi affirmé le chef de l'Etat vénézuélien mardi soir, dans son palais de Miraflores, à Caracas, lors d'une réunion diffusée à la radio et la télévision. Cette accusation suit la déclaration du porte-parole du Département d'Etat américain, Mark Toner, qui avait adressé une sévère mise en garde aux autorités de Caracas en les appelant à cesser de réprimer les manifestations de l'opposition. En moins de trois semaines, l'actuelle vague de manifestations a fait cinq morts et des dizaines de blessés et l'opposition dénonce la répression des forces de l'ordre, qui ont arrêté plus de 200 personnes. Dans le même registre, Nicolas Maduro a estimé mardi soir que Julio Borges, le chef du parlement, dominé depuis 2015 par l'opposition, devrait être poursuivi pour "appel au coup d'Etat": "Ce que Borges a fait aujourd'hui constitue une violation de la constitution et, pour ce fait, il doit être poursuivi", a insisté le chef de l'Etat vénézuélien. «La mère de toutes les manifestations» n Les antichavistes (en référence au défunt président Hugo Chavez, 1999-2013), dont c'est le sixième rassemblement depuis début avril, ont promis qu'il s'agirait de "la mère de toutes les manifestations", pour exiger des élections anticipées et le respect du Parlement, la seule institution qu'ils contrôlent depuis fin 2015. L'opposition de centre droit a engagé un bras de fer avec le chef de l'Etat dont elle demande le départ, dans un pays étranglé par une terrible crise économique. Traditionnellement, la révolution bolivarienne lancée par Hugo Chavez et ses programmes sociaux destinés aux plus pauvres trouvent leurs plus fidèles soutiens parmi les catégories populaires. Mais, asphyxiés par la crise et les pénuries, sept Vénézuéliens sur 10 souhaitent à présent le départ de Nicolas Maduro, l'héritier politique de Chavez. Possible intervention étrangère l Nicolas Maduro ne semble pas prêt à calmer le jeu : après avoir annoncé le déploiement de militaires hier, il a décrété le renforcement des milices civiles, qui compteront 500.000 membres, avec "un fusil pour chacun" en vue d'une éventuelle "intervention étrangère". Cette vague de protestations a démarré le 1er avril après la décision de la Cour suprême, réputée proche de Maduro, de s'arroger les pouvoirs du Parlement, déclenchant un tollé diplomatique qui l'a poussée à faire machine arrière 48 heures plus tard. L'opposition a dénoncé une tentative de coup d'Etat mais paradoxalement cet épisode lui a aussi donné un nouveau souffle, l'amenant à dépasser ses divisions intestines, et a relancé la mobilisation populaire à ses côtés, assoupie ces derniers mois.