Résumé de la 8e partie - je savais que si je perdais mon tour, c'en serait fini de la queue, et de moi-même. J'ai regardé mon article. Il était aussi mort que moi. Il ne cancanait même pas. Après tout, en heurtant ce corbillard, j'étais moi-même entrée dans un silence de mort. La machine s'est mise à bourdonner. La caissière a secoué la tête : — Je suis désolée, madame. Votre carte a été rejetée. J'ai été prise de terreur : — Rejetée ? Comment ça, rejetée ? Un canard flambé — quelle réponse serait plus appropriée que cela ? La caissière m'a toisée avec mépris, comme une voleuse à la tire : — Un canard flambé, certes. Très banal, vous ne trouvez pas ? Vous auriez pu arriver avec la bonne réponse... vous auriez gagné... si vous aviez pris le temps de bien regarder autour de vous. Si vous n'aviez pas cédé à la précipitation. Des clients qui me suivaient s'est élevé un murmure d'assentiment. Se faire réprimander n'est jamais agréable, et certainement moins encore dans un moment comme celui-là. — Est-ce que je lui donne la bonne réponse ? a demandé la caissière. Le murmure s'est amplifié. La fille s'est levée, contournant sa machine, et, à trois pas derrière moi, elle a pris sur le rayon orné de tortues souriantes et luisantes un objet cylindrique doté d'un capuchon de plastique. Je l'ai fixée avec ahurissement, écœurée : — Du rouge à lèvres ? La caissière a haussé les épaules pour exprimer son incrédulité et son dédain: — Du rouge à lièvres. A LIEVRES. — Du rouge à lièvres ! me suis-je écriée. Ecrasée comme un lapin, c'est cela que vous voulez dire ? Le lièvre et la tortue ? Je n'aurais jamais cru que ma vie éternelle dépendait d'un jeu de mots aussi stupide ! Derrière moi, les tortues éclatantes et souriantes tendaient leurs cous verts et luisants pour respirer le parfum des roses. La caissière a hoché la tête, souriant elle aussi. J'ai beuglé : — Vous parlez d'une banalité ! Le lièvre et la tortue ! Arrêtez-vous donc pour respirer le parfum des roses ! Furieuse, j'ai voulu la saisir à la gorge. Mais la caisse et la caissière ont disparu. Je me suis retrouvée tout au bout d'une queue qui ondulait. Dans mon délire, j'attaquais la cliente fantomatique qui se tenait devant moi. Epuisée, j'ai laissé ma main retomber. Il faisait trop chaud pour pareille exhibition. Il valait mieux voir où menait cette queue. «Prenez un numéro d'ordre, s'il vous plaît», ordonnaient les haut-parleurs. Je me suis précipitée au distributeur, et j'ai tiré le ticket marqué «100». Maintenant que j'avais un numéro, je pouvais me détendre et voir ce pour quoi nous attendions. J'ai tendu le cou (comme ces maudites tortues), mais la pancarte était si lointaine que je pouvais à peine la distinguer. Il régnait une chaleur moite. Déjà, entre mes doigts, mon ticket numéro «100» devenait humide. Je me suis penchée en avant autant que j'ai pu, les yeux plissés. J'ai enfin pu lire la pancarte : «99 ventilateurs en solde».