Je parie que vous ne savez pas comment la tortue, un jour, roula le lièvre comme au coin d'un bois. Et pourtant, pour rouler les autres, il s'y entendait, le lièvre ! Il ne rêvait que d'entourloupettes. Poser des colles, faire des niches, berner tout le monde et n'importe qui, voilà tout ce qu'il savait faire. Et il n'était jamais à court d'idées, le bougre ! Des tours à jouer, son sac en débordait toujours. Tortue était trop occupée à tenir sa petite mare bien propre pour trouver le temps de jouer des tours. C'est qu'on venait de loin pour y boire, à sa mare ! Des champs, des plaines et de la brousse, des environs ou de fort loin, les visiteurs ne manquaient pas. Et tortue les accueillait le cœur content, car elle avait fait sien le proverbe : «Apaise la soif du voyageur, il apaisera ta soif de nouvelles.» En effet, elle qui ne quittait quasiment jamais son trou d'eau, elle était mieux informée que personne et ne s'en laissait guère conter. Depuis quelque temps, les bruits qui couraient n'avaient rien de réjouissant. Jour après jour, Tortue entendait le même refrain : il y avait un voleur dans le coin, un chapardeur qui se servait dans les champs alentour. Il faut dire qu'en ce pays-là tout le monde était toujours prêt à donner un peu de ses récoltes à quiconque avait faim. Mais voler ne se faisait pas. Jamais. Personne ne volait. Du coup, chacun se demandait : «Mais enfin, qui donc ose faire ça ? Qui donc ose se servir sans jamais rien demander ?» Hélas ! personne ne savait. Pourtant Tortue avait sa petite idée. Un jour, Lièvre arriva au bord de son trou d'eau. Il but tout son content et releva la tête, l'œil luisant. Il se disait : «Bien, et maintenant, quel tour jouer ? salir cette mare, peut être ?» Certes, un vieux proverbe dit bien : «Ne gâte pas l'eau du puits après y avoir bu, où boirais-tu demain ?», mais Lièvre s'en souciait comme de sa première culbute. L'ennui, c'est que Tortue était là qui veillait. Alors Lièvre s'assit près d'elle et se contenta de lui poser des devinettes. Tortue avait réponse à tout. — Attends, j'en connais une qui va te faire sécher, dit le lièvre. Qu'est-ce que je peux battre à grands coups sans laisser de trace ? — J'habite à côté et j'en bois, dit la tortue. C'est l'eau. Alors le lièvre, en soupirant, renonça à l'attraper avec ses devinettes. Il l'aurait d'une autre façon. — Tu sais ce que nous devrions faire, Tortue ? Labourer un champ, tous les deux. — Moi ? Labourer un champ ? C'est à peine si j'arrive à gratter mon petit carré de potager. Comment voudrais-tu que je laboure tout un champ, avec mes pattes courtes ? — Pattes courtes ? Elles sont magnifiques tes pattes. Juste de la bonne longueur pour la houe. — Et comment veux-tu que je la tienne, ta houe, dis-moi un peu ? — Pas de problème. Il suffirait de te la fixer aux pattes. Je me ferais un plaisir de l'y attacher. «Tiens pour une fois, il y a du vrai là-dessous», se dit Tortue tout bas. Lièvre était roublard comme pas deux, décidément. Mais elle n'allait pas se laisser faire. Elle dit tout haut : — Merci, mais je n'ai pas envie d'essayer. il y eu un silence. Lièvre réfléchissait. — J'ai faim, dit-il enfin. Pas toi ? — Si, un peu, mais mon pauvre jardin n'a plus une pousse verte. — Oh, pas de chance ! Mais ce n'est pas grave, écoute. En venant ici, j'ai remarqué tout un champ plein de bonnes choses. C'est celui de Sanglier, sauf erreur. Viens, allons déterrer deux ou trois de ses patates douces. — Oh, oh ! Lièvre, que dis-tu là ? Tu sais bien qu'il ne faut pas. Pas question de voler, ça non. Il y eu un autre silence. Tortue avait faim pour de bon. Et une idée lui venait. Elle se tourna vers le lièvre. — Où as-tu dit qu'était ce champ de patates, déjà ? — Tout près d'ici, derrière les fourrés. La tortue fit mine d'hésiter. — Hum, Je ne pense pas deux ou trois patates feraient défaut au sanglier… Sitôt dit, sitôt fait. Les voilà sur le champ voisin. Déterrer quelques patates douces était l'affaire d'un tournemain. En un rien de temps, le sac du lièvre était plein. Alors, avec des airs de colosse, il cala le chargement sur le dos de la tortue, et tous les deux gagnèrent la brousse pour y faire cuire leur butin. Ils se trouvèrent un coin tranquille, ramassèrent des herbes sèches, et bientôt, dans le feu crépitant, les patates étaient cuites.