Alger Quelque chose n?allait pas. Hocine s?en rendit compte à l?instant même où le jeune garçon se glissa sur le siège en claquant la portière. Dans la lumière imprécise du crépuscule, sur le bord de la route, il n?avait rien remarqué. Il avait simplement vu ce garçon, coiffé d?une casquette à la manière d?un jeune étudiant, d?autant plus qu?il portait à la main un cartable. Et c?est le plus naturellement que Hocine s?arrêta. Ce ne fut que lorsque l?auto-stoppeur se trouva assis à côté de lui, son sac entre les pieds, sur le plancher de la Mercedes, que Hocine commença à s?étonner. L?autre avait l?air de quelqu?un à qui on ne pouvait donner un âge de prime abord, mais paraissait plus âgé, en tout cas assez âgé pour ne plus être à l?université, plus expérimenté et avoir vu plus de choses qu?on ne s?attend ordinairement d?un étudiant de première année. Hocine était ce qu?on pourrait appeler une «poire» : il s?arrêtait dès qu?il voyait un jeune garçon, quel qu?il fut, faire de l?auto-stop. Les efforts de Malika, sa femme, pour lui faire perdre l?habitude de ramasser tout ce qui levait le pouce sur le bord de la route n?avaient rien changé. L?ennui, c?était que Malika ne comprenait pas vraiment pourquoi il prenait un passager. Elle ne pouvait savoir aussi bien que Hocine ce qu?on pouvait ressentir à 20 ans quand, lavé et rasé de près, on fait son entrée à l?université, mais que par malheur on n?a pas les moyens de se rendre à la capitale. Restait alors l?auto-stop ! Oui, Hocine, issu d?une famille pauvre, connaît trop bien cela ! Il connaît aussi ce sentiment de peine et d?amertume lorsqu?un mufle passe en trombe dans une voiture sensationnelle et disparaît sans s?être arrêté, dans un tourbillon de poussière. Aussi, Hocine prenait-il les auto-stoppeurs et quand sa femme Malika posait le journal à côté de sa tasse de café, sur la table du petit-déjeuner, pour lui montrer un fait divers tel que «un automobiliste dévalisé et assassiné par un jeune auto-stoppeur», il prenait le journal, le feuilletait jusqu?à trouver quelque accident d?aviation ou de train et il demandait : «Vas-tu pour autant t?arrêter de prendre l?avion ou le train ?» Les arbres défilaient, l?obscurité grandissait sur la campagne, annonçant la tombée imminente de la nuit. L?auto-stoppeur était du genre silencieux, pensait Hocine. Il n?avait pas prononcé une parole depuis qu?il était monté en voiture. Hocine s?éclaircit la voix, sourit et dit : ? Moi, aussi, j?ai été étudiant? ? Ah ? Dans le noir, Hocine hocha la tête. ? Vous savez que vous paraissez plus âgé que la plupart des étudiants de première année ? Mais je pense que vous êtes comme moi. J?ai dû d?abord trimer dur avant d?entamer sérieusement mes études. Ma famille était pauvre. Il se tut et jeta subrepticement un regard vers l?autre. (à suivre...)