Jeu - «Kachrouda» (la décoiffée), une pièce écrite et mise en scène par Ahmed Rezzag, a été présentée, hier, sur les planches du Théâtre national algérien. Conçue dans le genre de la comédie noire, la pièce, évoluant dans un style avant-gardiste, est «un voyage dans une Algérie sans richesses naturelles, où le paupérisme a gagné tout le pays». En fait, la pièce est une critique de l'après-pétrole. Chargée de paraboles, elle nous renseigne sur une réalité évidente mais souvent insoupçonnée, inattendue. Elle décrit «le destin désastreux d'une société qui voyait en la manne pétrolière une source de vie intarissable et qui se voit violemment frappée par la précarité et le désarroi, faute de création de richesse et de nouvelles sources de vie». La pièce met en scène un taudis, dans lequel vit une famille frappée par la misère et la faim. Le public découvre le père, la mère, la fille et la grand-mère, attendant impatiemment que les lentilles, en pleine cuisson, soient prêtes à servir. Pendant ce temps-là, tout le monde est au bord de la crise de nerfs. Misère, hausse des impôts, famine, situation chaotique du pays sont le lot quotidien de cette famille, figure représentative de la société algérienne. Il faut trouver en urgence de l'argent pour opérer la maman aveugle. Allant jusqu'à vendre son pantalon pour avoir quelques sous et n'ayant pas trouvé d'autre alternative, le père décide donc de vendre la maison. Au risque de se trouver dans la rue, il s'efforce de convaincre le propriétaire de la cafétéria d'épouser sa fille afin que toute la famille puisse s'installer chez lui.La famille entre en négociation tumultueuse avec le proprio de la cafétéria en présence du médecin qui veut commencer l'opération et l'agent des impôts qui exige le paiement des factures. Le chaos est tel que la famille oublie de vérifier la marmite des lentilles, et le feu de la cuisinière se propage et la maison se retrouve toute ravagée par les flammes. Sans prétention autre que celle de dresser un portrait alarmant d'une Algérie qui navigue en eaux troubles. Le temps d'une représentation, Ahmed Rezzag propose un spectacle effrayant et sublime, dont la dramaturgie se voulait capitale, percutante, le tout présenté sous un éclairage d'intérieur efficace, démonstratif, dévoilant un décor parlant : raconter le malheur d'une famille rongée par la pauvreté extrême. Quant au jeu des comédiens, il a été brillant, ces derniers, qui ont pleinement occupé tous les espaces de la scène, ont porté de façon saisissante la densité du texte dans un rythme ascendant aux échanges alarmants suscitant la réflexion. C'est dire que le jeu s'est révélé juste, approprié et pertinent. Un jeu concuant tant l'humour noir du dramaturge déployé sans failles d'un bout à l'autre de la pièce vient dénoncer la politique d'un pays fonçant droit dans le mur : le texte est un réquisitoire contre «une paralysie générale chez le peuple (bras cassés, abstention, illettrisme) et une mal gérance totale du gouvernement (Ansej, pétrole, gaz, chômage et impôts)...». Par ailleurs, la pièce, jouée dans le parler populaire direct et cru et où rire et dérision vont de pair, a été rehaussée par des ambiances musicales judicieuses, créant une atmosphère d'angoisse. A cela s'ajoute la scénographie qui a donné au spectacle un aspect de vétusté et de misère. «Kachrouda», un spectacle troublant dont la vision hypnotise jusqu'à la fin, est à l'affiche ce soir et demain. Elle sera ensuite en tournée nationale.