Présage Ce jeu reste l'unique moyen d'évasion pour certaines de ces femmes en quête du fel ezzine. Réunies autour d'une meïda garnie de délicieux gâteaux et autres boissons, dont du thé qui règne en maître, les femmes commencent le jeu. L'une d'entre elles procède à la préparation du kanoun (encensoir) en y mettant sept genres d'encens, dont la résine de Java, puis renverse la boûqâla sur l'encensoir afin qu'elle s'imprègne d'encens. La tabkhira ou encensement de la boûqâla, selon M. Mhamsadji, vise à purifier cette dernière, avec la récitation de certaines prières. Ce rituel a également pour objectif d'augmenter la concentration des femmes présentes et d'attirer davantage leur attention. La boûqâla est ensuite remplie d'une eau puisée de sept sources différentes. Elle est recouverte d'un mouchoir ou d'une chéchia appartenant à un jeune célibataire pour être mise au milieu d'une pièce ou d'une terrasse. Là commence le jeu... La maîtresse de maison invite les femmes à mettre dans la boûqâla une bague, une boucle d'oreilles ou même une fève ou un pois-chiche afin que chacune d'elle puisse se reconnaître à travers ces objets. Puis deux jeunes filles célibataires, aâtek, symbolisant la pureté et la pudeur, sont choisies pour porter la boûqâla avec les deux pouces. La dame commence par réciter une courte prière, dou'aâ, en invitant les femmes à «nouer» la boûqâla, un geste riche en symboles, selon M. Mhamsadji. La femme noue son h'zam (ceinture en tissu, soie...) ou son mouchoir en dédiant la boûqâla à une personne, sans dévoiler son identité. Le «n?ud» excite la curiosité des femmes, avides de connaître le texte de la boûqâla ou d?entendre un son, un signe ou une parole pouvant être interprétés comme un «bon présage». Dans un silence total, les regards des présentes se posent sur la récitante d'un poème, dont les vers du jour lui viennent à l'esprit ou ont été transmis oralement de génération en génération. La manière d'énoncer la boûqâla suscite l'intérêt des auditrices, stimule l'imagination et incite les femmes à projeter les images et les représentations sociales et culturelles décrites par le poème sur leur propre expérience et vie. Vient ensuite l'étape du retrait des objets personnels mis par les femmes dans la boûqâla, et du fel (présage) de la femme ayant «noué» le tissu en pensant à son mari, à son frère ou à l'un de ses proches. C'est alors que commence l'interprétation du poème qui cible la personne à laquelle a pensé la femme dont l'objet a été retiré de la boûqâla. Pour s'assurer de la véracité de la boûqâla, la femme lui demande de se tourner vers la droite ou vers la gauche afin de vérifier la véracité du fel. A la tombée de la nuit, les femmes montent à la terrasse de la maison où elles versent, aux quatre coins, l'eau de la boûqâla tout en imposant le silence absolu pour pouvoir écouter de nouveau le fel, car le moindre bruit a une interprétation spécifique dans le jeu de la boûqâla. L'authenticité et l'origine de la poésie des boûqâlate en tant que genre littéraire qui témoigne de la prospérité de la société algérienne d'antan dans les domaines social et culturel, selon le chercheur M'hamsadji, date du règne de l'empire ottoman et de la guerre de l'ancienne Mezghena qui avait la mainmise sur la mer Méditerranée aux XVIe et XVIIe siècles nécessitant, de ce fait, l'enrôlement des hommes dans la marine pour protéger l'Algérie. La boûqâla est née des sentiments de peur et d'inquiétude des femmes qui se sont retrouvées seules après avoir été séparées de leurs maris, leurs fils et leurs proches partis en mer. La boûqâla leur a permis de dissiper ce sentiment de peur en ayant recours au fel.