Résumé de la 1re partie En cette année 1927, le colonel Montgothier se rend dans un casino de Monte-Carlo pour jouer et gagner grâce à une combine, pense-t-il. Cette constatation plonge le colonel dans un abîme de réflexions. Après quelques jours de méditation et de recoupement, il a la certitude absolue que quarante ans d'archives constituent à coup sûr le moyen infaillible de déjouer les méfaits du hasard. Bref, le colonel Montgothier a trouvé le moyen de vaincre le démon du jeu. Ou plutôt il «va» trouver, car pour le moment, il n'en est encore qu'à l'élaboration du projet. L'entreprise sera longue et coûteuse. Il va falloir d'abord recopier, classer, archiver sur des fiches, et dans l'ordre, chaque sortie des numéros gagnants qui se sont succédé à la roulette de Monte-Carlo pendant quarante ans. Ensuite il faudra comparer, recouper, superposer toutes ses fiches et alors là, seulement, l'heureux militaire possédera la clef de la fortune. La martingale du siècle. Pour y parvenir, il lui faudra du temps, de la patience, des locaux disponibles et de la main-d'?uvre. Qu'à cela ne tienne. De la patience, il en a ; son château est un local comme un autre, vaste à souhait ; quant à la main-d'?uvre, sans l'ombre d'une hésitation, Montgothier va s'adresser aux trois frères Marin. Les trois frères Marin étant nés dans la ferme de son château, le colonel les a fait venir successivement dans son régiment. Le dernier lui sert même d'ordonnance. Ce sont de braves petits gars qui lui sont dévoués corps et âme. Ils sont encore célibataires ; il suffira de les défrayer pendant la mise à jour du fichier, et ils seront payés largement quand les gains commenceront. Chose décidée, chose faite. Le brave colonel débarque un beau matin avec ses trois zouaves dans les archives de Monte-Carlo. Durant des heures, pendant plus d'un an, ils vont recopier la liste interminable des «permanences» établies par les services du Casino. Chaque matin, dès l'ouverture des bureaux, les trois frères Marin, sous la conduite de leur colonel, vont s'installer dans les archives comme des rats dans une cave et remplir des cahiers entiers de colonnes de numéros gagnants. Sous l'?il amusé des employés, ils vont noircir des tonnes de papier, user des kilomètres de crayons et puis, un beau matin, ces gratte-papier d'un genre exceptionnel disparaissent comme ils étaient venus, laissant la poussière se reposer doucettement sur ces quatorze mille six cents jours de roulette (sans compter les années bissextiles). L'?uvre du colonel n'en est pas pour autant achevée. Car le plus dur reste à faire. C'est dans son château du Périgord, où le brave militaire a fait transporter cette montagne de renseignements, que les quatre hommes vont parfaire le travail. Pendant deux ans encore, ce septuagénaire et ses acolytes, aussi tenaces que têtus, vont découper des fiches, les comparer, les accrocher aux murs du château, les pendre aux poutres, les coller sur les glaces. Des milliers de petites listes avec des dates précises vont se croiser, se superposer, s'étaler, envahir le château. Armé d'une échelle, le colonel se déplace de fiche en fiche et note les séries communes en fonction de leur répétition dans le temps. Au pays, le bruit court que le colonel est devenu complètement fou. Il ne reçoit plus personne, ses fenêtres sont condamnées à cause des courants d'air car les fiches sont partout, de la cave au grenier. Les numéros gagnants s'étalent se croisent en une valse diabolique. Et puis, un soir, Montgothier fait venir les frères Marin, les seuls qui croient encore en lui, et leur dit : «Par saint-Georges, les enfants, je suis prêt !» Quelques jours plus tard, le colonel, flanqué de ses trois zouaves, fait son entrée au Casino. Leur arrivée ne passe pas inaperçue. Le personnel n'a aucun mal à reconnaître en eux les «fous» qui ont passé plus d'un an dans les archives. On avait fini par les oublier, mais les revoilà. Calme, sûr de lui, le colonel s'approche de la roulette. Un de ses zouaves tape sur l'épaule d'un jeune homme qui est assis au premier rang. «Vous permettez ?» (à suivre...)