Espérance Elle attend que son petit-fils, parti faire la guerre, rentre. Elle est persuadée qu'il est toujours vivant. Dans ce petit village perdu de massif de l'Ouarsenis, la vie, les premiers mois de l?indépendance, semble s?être arrêtée. Aussitôt les canons de la guerre partis, la montagne a retrouvé son silence. Un silence majestueux, qui oblige à une sorte de léthargie, du moins de pudeur. Il est vrai que le village enregistre des martyrs, des maisons ont été détruites et des dizaines d'arbres coupés. Mais qu'importent les souffrances passées puisque la paix est maintenant revenue ? Une vieille femme, appelons-la Fatima, vit pourtant dans le doute et la souffrance. Son petit-fils, qui a pris le maquis, il y a quatre ans, n'est pas encore revenu, alors que tous les rescapés de la guerre sont revenus. Chaque matin, elle fait un kilomètre pour rejoindre le poste de gendarmerie ou elles espère qu'on lui annoncera la bonne nouvelle. A la caserne, tout le monde la connaît et on peine à la voir arriver sans avoir à lui donner la nouvelle qu'elle attend. «On m?a dit que des moudjahidine sont encore rentrés? ? Oui, deux, aux villages de N. et de B. ? Et mon petit-fils, Ali, vous n?avez aucune nouvelle de lui ? ? Non, mais nous pensons qu'il ne tardera pas à se manifester !» La vieille soupire : «A moins qu?il ne soit mort ! ? On te l'aurai dit ! Non, ton petit-fils est bien vivant, tu le reverras bientôt !» Et elle rentre, le dos courbé, très déçue mais avec quand même un peu d?espoir. Les gendarmes ont raison : si Ali était tombé au champ d?honneur, on l?aurait certainement informée. D'ailleurs, c'est ce qui est arrivé au fils d'une cousine ; quelques jours seulement après sa mort, sa famille a été avisée. Si Fatima est si pressée de revoir son petit-fiIs, c'est parce que c'est le seul être qui lui reste au monde. Le père et la mère du garçon ont trouvé la mort dans un bombardement ; quant au mari de Fatima, il est mort quelques temps après, de douleurs. Si seulement le père de Ali, Rabah, avait eu d?autres enfants, elle ne serait pas aujourd?hui seule. Mais le pauvre homme a perdu, en bas âge, tous les enfants qu'il a eus et, Ali, le seul survivant, est parti au maquis à l'âge de dix-huit ans. Fatima se rappelle le jour où il lui a fait part de son intention de rejoindre les moudjahidine? Elle a pleuré puis elle l?a supplié de rester, mais le jeune homme lui a dit qu'il ne pouvait se dérober à son devoir et qu'il voulait rejoindre ses frères pour combattre le colonisateur. Et il est parti, un beau matin, emportant avec lui un sac où elle lui avait mis une petite bouteille d'huile et une galette. Il s'est retourné et lui a dit : «Au revoir, grand-mère, je reviendrai quand l'Algérie aura recouvré sa liberté !» L'Algérie a retrouvé sa liberté, des dizaines de combattants sont revenus, mais lui, Ali, n'est pas rentré... «Mon Dieu, mon Dieu, pleure la vieille Fatima, rends moi sain et sauf mon petit garçon !» (à suivre...)