Deux frères vivaient avec leurs familles dans la même oasis. L'un avait de nombreux enfants pour lesquels il travaillait de l'aube au coucher du soleil, sans arriver pour autant à sortir sa maisonnée d'une vraie pauvreté. L'autre n'avait pas d'enfant. On lui connaissait de nombreuses propriétés. Il ne désirait donc pas se fatiguer à mettre en valeur de nouveaux jardins puisqu'il vivait déjà, avec sa femme, dans une confortable aisance. C'est ainsi qu'un jour il dit à son frère le pauvre : «Voici un jardin un peu éloigné que je n'aurai jamais le temps de cultiver. Prends-le. Tu en feras bon usage pour toi et les tiens.» Tout heureux, Foudhala, le frère pauvre, prit possession du jardin. On était en automne. Tous les enfants furent employés à émonder les arbres, à défricher les broussailles, à retourner les terres, à ensemencer. De sorte qu'au printemps suivant, ce jardin dont les terres s'étaient largement reposées fut transformé en un paradis. Le cadi de la région passa par-là au moment où Foudhala faisait ses premières récoltes. Il complimenta notre jardinier qui, obligeant, lui remplit un panier des primeurs de ses légumes et des plus beaux de ses fruits. Mais, quelques jours après vint à passer la femme du frère riche qui n'avait pas été tenue au courant des libéralités de son mari. Elle chercha machinalement du regard sa propriété, ne la reconnut pas, se frotta les yeux se demandant si elle était en état de veille ou de rêve et finalement interpella son mari : «N'était-ce pas là notre jardin ? – Certes. Mais je l'ai donné à Foudhala parce que nous n'en faisions rien. – Donné ? Mais c'est une fortune que nous avons perdue. – Pour nous, c'était une terre aride et sans valeur. – Regarde ce que tu avais et ce qu'il en a fait ! Tu dois absolument reprendre cette merveille.» Assez ennuyé, le frère riche proposa à Foudhala de lui racheter le jardin. Celui-ci refusa ayant honte d'en demander un grand prix puisqu'il lui avait été donné, mais soucieux aussi de ne pas se voir reprocher par la famille tant d'heures de travail fournies par les siens pour la remise en l'état. L'aîné, écartelé entre sa femme et son frère, conclut : «Il y a arbitrage à faire. Allons chez le cadi !...» Il partit en calèche. Son cadet se mit en marche sous la pluie. Mais, comme cette pluie devenait torrentielle, Foudhala demanda abri à des nomades dont la tente était près de la piste. Ils l'accueillirent. La tente ne comportait évidemment pas d'autres meubles que des nattes. On pria l'hôte de s'asseoir. Celui-ci ne prit pas garde à un petit bébé posé à terre, à moitié caché par un foulard. Il s'assit donc dessus et, malheureusement, l'écrasa. Les nomades, au comble de l'excitation, s'en prirent à leur hôte très ému qui argua de son inadvertance. Ils conclurent : «La vie d'un enfant est une chose inestimable. Allons chez le cadi !...» (à suivre...)