Production La salle l?Algeria a abrité, jeudi dernier, la projection, en avant-première, du dernier film du réalisateur égyptien Youssef Chahine, sorti le 7 juillet 2004. Alexandrie? New York est une fresque cinématographique à travers laquelle le réalisateur Youssef Chahine revisite son passé et transpose un pan de ses expériences personnelles. Il nous donne une lecture de sa personne, de son histoire, souvent organisée autour de la problématique du «même» et de l?«autre», rapports complexes et conflictuels. Le film raconte, à des niveaux divers, Youssef Chahine. Cela se fait à travers Yehia, le protagoniste, l?élément clé de l?histoire. C?est d?abord l?histoire de ce dernier, réalisateur, qui, à l?occasion d?un hommage qui lui est rendu à New York, retrouve Ginger, son amour de jeunesse. C?est d?abord l?histoire d?une rencontre ; ensuite, les événements s?enchaînent, lorsque Yehia découvre que Ginger lui a donné un fils. Ce fut la surprise. Yehia a rencontré Ginger dans une école d?art dramatique, en Californie. Tous les deux, jeunes, s?étaient juré un amour éternel. Mais la vie les a séparés. Et ce n?est que quarante années plus tard qu?ils se réunissent à nouveau. Le film est régi et coordonné par un mouvement d?alternance, il est tantôt conjugué au présent, lorsqu?on assiste aux retrouvailles, tantôt raconté au passé lorsque l?histoire de Yehia, jeune étudiant, nous est dite. Et c?est avec subtilité que le narrateur (réalisateur) joint et converge les actions vers un point de jonction : raconter le rêve américain et, par conséquent, définir l?antagonisme aigu qui met le «même» et l?«autre» dans une situation relationnelle. Le premier est incarné par Yehia et le second par Alexandre, le fils de ce dernier. L?un est Egyptien, donc Arabe, l?autre a le sang américain qui coule dans ses veines et rehausse de son arrogance jusqu?à nier ses autres origines arabes, donc refuser, rejeter son père. Le rêve américain, tel que Yehia l?a connu très jeune, lorsqu?il était étudiant en Californie, tel qu?il l?a vécu, jeune, avec Ginger, s?est transformé, au fil des années, pour ne devenir que mensonge et désillusion. Fracture, amertume, désabusement. En effet, Yehia, désenchanté, ne croit plus, à travers son fils, en cette Amérique qui porte et prône les valeurs d?un humanisme d?exception. Alexandre représente, à travers son caractère et son mode de pensée, l?infatuation de l?Amérique. Une nation qui est profondément convaincue qu?il n?y a qu?elle qui détient l?art et la science, qu?elle est la référence, le centre du monde et que les autres, insignifiants, ne présentent que des nations satellites venant graviter autour de son système orbital. Alexandre refuse son père, il ne fait aucun effort pour aller vers lui, chercher à le connaître et à le comprendre, comprendre sa différence et apprendre son humanité. A travers cette symbolique, ce rapport entre un père et un fils, Youssef Chahine, motivé par une extraordinaire lucidité, cherche à montrer l?incommunicabilité et l?incompréhension entre les hommes, donc entre les peuples et les cultures. Sur le plan technique, Youssef Chahine, pointilleux et novateur, mène délicatement une recherche sur l?image, la couleur ainsi que sur la lumière. Le film se présente comme une peinture, un aréopage de tableaux colorés et d?une richesse visuelle et sensorielle considérable. Puisque le réalisateur passe allègrement de situations narratives à des scènes chantées et dansées. Il mêle sans défaut le mélodramatique à la comédie musicale. Deux styles venant donner à son film une originalité propre à lui. A cet effet, l??uvre revêt une teneur et une qualité esthétique étonnantes. Youssef Chahine, toujours fidèle à son style et à sa vision de l?art cinématographique, c?est-à-dire comment concevoir et fabriquer l?image, ne cesse de nous étonner et de faire plaisir à son public. Son film, Alexandrie? New York, laisse transparaître de la générosité et de l?humanité, où le tout est empli d?émotions.