Kémia est un mot très courant dans la langue et dans la bouche des Algériens, des grands comme des petits, mais surtout des petits. Dans les cours de récréation, par exemple, ceux qui n'ont pas de goûter vont souvent retrouver ceux qui en ont et leur disent : «A'tini kémia» (donne-m'en un peu). Au marché, quand on ne veut acheter qu'une petite quantité de produit, on dit parfois : «Med-li kémia bark» (donnez- m?en un peu seulement), kémia remplaçant ici chouïa. A la couturière qui doit retailler un vêtement, on dit aussi : «Neh'ilu kémia» (retranchez seulement un peu). Kémia et chouïa sont, dans tous ces exemples, interchangeables, même si chouïa est nettement plus utilisé. Le mot vient de l'arabe kamiya, qui signifie, au propre, une quantité, mais qui a pris ici le sens de petite quantité, voire de quantité insuffisante. C'est ce mot et ce sens qui ont inspiré la fameuse kémia des Européens d'Algérie : il s'agissait du plat de pois chiches bouillis ou de petits poissons, voire de crustacés, que les barmen tenaient à la disposition de leurs clients, plats qui étaient, bien entendu, gratuits. Le principe était d'attirer la clientèle, de lui servir aussi un plat qui était souvent épicé et salé de façon à donner envie de boire. Mais il s'agissait aussi de favoriser la convivialité. Cette habitude s'est perpétuée un temps après l'Indépendance puis elle s'est perdue : le poisson est devenu trop cher pour qu'on continue à le servir gratuitement ! Mais les Algériens sont quand même restés généreux puisqu'ils n'hésitent pas à partager leur goûter, voire leur casse-croûte avec ceux qui leur en demandent une kémia !