Deniers publics L?émission d?un chèque sans provision est en soi un délit. Ce délit a été même assimilé à de l?escroquerie. Tous les jours, à travers les juridictions du pays, il n?y a pas une seule audience correctionnelle où ne figure pas, dans le rôle affiché, une affaire d?émission de chèque sans provision. A vrai dire, la majorité des citoyens ignore les contenus des termes de l?article 374 du Code pénal. Ils les ignorent à telle enseigne qu?on entend souvent des victimes d?émission de chèque en bois s?écrier à la face du juge : «M. le président, j?ai accepté ce chèque à titre de garantie. Je ne savais pas que c?était interdit d?accepter ce genre de chèques.» Et généralement, le magistrat de répondre : «Non M., le chèque, c?est du liquide. Il faut le présenter le jour même de sa remise». D?ailleurs, nous profitons de ces précisions pour vous donner l?alinéa trois de l?article 374 ? «Quiconque émet, accepte ou endosse un chèque à la condition qu?il ne soit pas encaissé immédiatement mais, à titre de garantie, est puni d?un emprisonnement de un à cinq ans et d?une amende qui ne saurait être inférieure au montant du chèque ou l?insuffisance du chèque.» Dans cette affaire, un citoyen jure ignorer l?article 374 et tous ceux du Code pénal. Mais il a des circonstances atténuantes. La partie civile a trop perdu de temps à négocier avec lui pour qu?il régularise sa situation. Le magistrat devine, pour une fois, que l?inculpé était de bonne foi : «Alors que s?est-il passé, inculpé ?», demande sévèrement le juge. «Je ne savais pas. J?étais au Sud. J?ignorais les tenants et les aboutissants de ce chèque en bois», murmure l?inculpé dont les traits laissent apparaître une peur bleue, celle de la condamnation ferme. Il le dit à Mohamed Boughaba, le président du tribunal de Bab El-Oued (cour d?Alger). D?ailleurs ce juge a la réputation de ne pas laisser les détenus mener les débats à travers de multiples dribbles, des échappatoires ou encore des excuses bidon. «SVP M. le président, je ne veux pas faire de la prison», répète l?inculpé, qui n?entend presque pas une bonne question de Dahmani, la jeune représentante du ministère public : «Dites-nous un peu mademoiselle lorsque le chèque s?est avéré être sans provision, lui aviez-vous signifié le délit ?» La jeune représentante de la Cnas ? partie civile ? répond aussi clairement que le juge a failli siffler. «Durant une année, la caisse a tenté de le raisonner afin qu?il régularise sa situation.» Boughaba a les sourcils en accent circonflexe : «Si ce n?est pas malheureux, un an ! Deux semestres ! A quoi cela vous a-t-il servi de faire traîner les choses ?», intervient le magistrat qui tend l?oreille vers le prévenu. «Mais M. le président, j?ai tout régularisé.» Puis il demande pardon juste après que la partie civile eut annoncé ne rien demander à titre de réparation. «Heureux que vous ayez récupéré le fric du contribuable. C?est un petit miracle.» Les demandes du parquet sont attendues : trois mois fermes et ce, outre une amende. Le juge? juge en toute connaissance de cause et tient surtout à vider d?une place Serkadji. Il prononce la peine demandée par la «procureuse» assortie du sursis. A propos, à quand la dépénalisation du chèque sans provision ? Dans vingt ans ?